La grande chroniqueuse du New York Times Maureen Dowd avait résumé l’affaire Clinton-Lewinsky, devenue une affaire d’Etat, par une formule féroce, mais pleine de bon sens, en disant que c’était devenu une affaire d’Etat qui a tenu en haleine le monde alors qu’il aurait dû se régler simplement par une «demande de divorce».
Ainsi, elle rappelait que l’affaire montée en épingle par les Républicains, qui avaient lancé la procédure d’impeachment contre Clinton sous le regard des médias du monde, ne concernait que Mme Clinton. Je ne suis pas loin de penser la même chose de l’affaire Sonko, s’il n’y avait pas de plainte pour viol. Sans la plainte pour viol, l’affaire aurait concerné les deux femmes du leader de Pastef et surtout Sonko et sa conscience, qui est le meilleur tribunal de l’homme. L’affaire Tarik Ramadan a montré que, quand on utilise la religion comme une rente sociale ou politique, on se doit d’être irréprochable.
Il est évident que si c’était un autre homme politique, quelle que soit son envergure, l’opinion se serait étonnée qu’un homme public de cette importance fréquente ce genre d’endroits. Mais pour Sonko, c’est devenu évènement parce que le leader des Patriotes a bâti toute sa stratégie, tout son projet, autour de sa morale et son intégrité personnelle qui le différencient des autres. Cette stratégie de la différenciation, qui a si bien fonctionné au point de faire de Sonko le chef de l’opposition et l’alter ego de Macky Sall, vient de montrer ses limites.
A partir du moment où l’on découvre des failles dans la carapace morale de Sonko, le projet politique qui repose presque exclusivement sur la personne de Sonko s’effrite. On l’apprend en communication : le message c’est avant tout l’émetteur. Au-delà de la polémique et des combats politiques, l’affaire de Sweet Beauté porte une atteinte sérieuse à la parole de l’émetteur principal des Patriotes, perçu à la limite par l’opinion comme un «islamiste».
Les hommes politiques doivent en tirer les leçons et arrêter leurs tartufferies religieuses. On ne cherche pas à élire un imam ou un évêque, mais un homme pour trouver des solutions à nos problèmes terrestres. Comme à notre habitude, on est vite tombé dans les excès en renouant avec la démocratie des furies (manifestions, arrestations, chars de combat, comme un pays en guerre). Une banale histoire de mœurs, au plus un fait divers politique, a montré comment notre vieille démocratie fait du Dem dikk entre les standards des démocraties scandinaves et ceux des deux Congo.
Notre démocratie en revient tout le temps à la démocratie des furies, à cause de la suspicion légitime qui frappe la justice. Cette suspicion qui fait qu’on est convaincu qu’au-delà de la bataille de l’opinion, on se croit obligé d’adopter la tactique de la terre brûlée pour créer un rapport de force politique auquel les juges vont donner emballage légal. En France, François Fillon a été mis en examen à quelques mois de la Présidentielle sans que personne ne puisse dire que les juges ont écrit sous la dictée de l’Exécutif. Il est en de même pour les condamnations de Sarkozy et de Chirac, parce que dans ce pays, selon que vous soyez homme politique ou pas, la justice vous rendra blanc ou noir.
Ce n’est pas parce que Sonko est homme politique qu’on doit lui appliquer une présomption de culpabilité en fast track, mais ce n’est pas non plus parce qu’il est homme politique qu’on doit sacrifier les droits de Adji Sarr. Etre homme politique ne doit pas être une zone de non-droit. Macky Sall avait promis de réduire l’opposition à sa plus simple expression, force est de constater qu’il a réussi, mais ce succès ne peut être que temporaire, car la main invisible (pour parler comme Adam Smith) de la démocratie génère naturellement une opposition et des intellectuels critiques.
La nature ayant horreur du vide, je préfère l’entrée par effraction des 102 signataires du Manifeste, à l’incrustation de Clédor Sène qui, moralement, n’a pas sa place dans notre débat public.