Un mauvais coup du destin ? Une naïveté coupable ? Une grosse connerie ? L’affaire de viol présumé du leader du parti Pastef, Ousmane Sonko, sur la dame Adji Sarr, pourrait être lue sous diverses coutures. Ousmane Sonko ne manquera pas de payer un lourd tribut de cette histoire. Son image est déjà largement écornée, sans compter d’éventuelles conséquences pénales fâcheuses pour lui. Mais Ousmane Sonko ne pourrait en aucune façon se plaindre de ses propres turpitudes. Il est le seul et unique responsable de ses déboires ; ce qu’il ne semble pas encore avoir compris, car si d’aventure, comme il le prétend, il serait tombé dans un traquenard, c’est justement lui-même qui s’est livré pieds et poings liés.
Qu’ils peuvent être nombreux à ne pas être surpris par cette histoire !
Il doit être clair que si le Président Macky Sall avait voulu faire tomber Ousmane Sonko pour des questions de mœurs, il n’aurait pas attendu aussi longtemps pour réaliser son coup. Ousmane Sonko a laissé assez de traces pour se rendre vulnérable, surtout à la veille de l’élection présidentielle de 2019. Certains médias n’avaient pas voulu verser dans une sordide fouille des poubelles et le Président Sall avait choisi de ne pas permettre que son camp utilise des armes non conventionnelles contre le leader de Pastef. Ousmane Sonko lui-même le savait et pouvait penser que ses petites histoires lui seraient retournées un jour à la figure. De hauts responsables de Pastef partageaient ses craintes, d’autant que quelques anecdotes d’incartades sur sa vie familiale ou de légèretés dans les comportements du chef du parti avaient pu être observées, au cours des pérégrinations auprès de la base dans certaines régions. C’est ainsi que, gagné par la panique, Ousmane Sonko avait cherché à anticiper en annonçant, au cours d’un meeting à la Place de la Nation à Dakar, le 20 janvier 2019, «qu’il ne reste plus aux gens du pouvoir que de l’attaquer sur sa vie privée». Heureusement, personne ne l’avait fait.
On savait aussi le goût de Ousmane Sonko pour l’argent, et surtout son imprudence. C’est ainsi qu’il acceptait non seulement des subsides provenant de l’étranger, que les services sénégalais avaient fini de tracer, mais aussi Pastef se faisait financer grâce à des transactions sur un foncier obtenu de l’Etat. Aussi, l’affaire dite des 94 milliards de francs Cfa qu’il avait soulevée en était la parfaite illustration. Ousmane Sonko, député de son état, contre toutes les règles éthiques et professionnelles, avait accepté de percevoir des commissions pour porter la bataille des héritiers du Tf 1451/R pour recouvrer leur patrimoine. Nous nous étions permis de le mettre en garde dans ces colonnes en indiquant, dans une chronique en date du 14 janvier 2019, «M. Sonko, quelqu’un qui veut devenir Président ne fait pas ça».
Qu’à cela ne tienne ! Ousmane Sonko s’en tirera à bon compte, en arrivant troisième pour sa première participation à une élection présidentielle, avec plus de 15% des suffrages. Tous les espoirs lui étaient alors permis et cette posture devait lui imposer plus de vigilance et d’exigence vis-à-vis de sa personne, surtout avec son discours de rupture et moralisateur qui pouvait le faire passer pour une alternative crédible. Pour autant, son attitude n’était pas aussi irréprochable qu’elle aurait dû être. Ousmane Sonko, piqué par on ne sait quel démon, continuait à fréquenter des lieux interdits à un homme politique soucieux de son image. Le salon de massage «Sweet beauty» en était un. Cette place présentait, dès sa devanture, des images et des enseignes qui ne la distinguaient en rien d’un lupanar. Mieux, la réclame sur internet présentait les filles qui y officiaient comme des «filles charmantes et sensuelles» et avec à la clé, des photos et vidéos on ne peut plus suggestives. Quiconque fréquentait ces lieux ne pouvait ignorer les pratiques qui y avaient cours et y allait donc en parfaite connaissance de cause. On peut considérer que c’est sans doute cela qui attirait la clientèle, car il existe à Dakar bien d’autres endroits qui pratiquent des activités de massage et qui ne donnent pas cet air de «baisodrome». Comment Ousmane Sonko, qui se voulait prudent et précautionneux, pouvait fréquenter cette place avec candeur ? Il jouait ainsi avec le feu et à force de le faire, il a fini par se brûler. Mais le plus sidérant reste les incalculables risques que Ousmane Sonko prenait, pour sa propre sécurité physique, en fréquentant un lieu interlope. Lui qui pouvait s’imaginer être dans le collimateur d’adversaires politiques qui ne lui voudraient pas que du bien s’exposait gravement dans un contexte où des assassinats d’hommes politiques ont été notés à travers le monde, avec le polonium ou d’autres produits chimiques qui réagissent plusieurs heures ou jours après leur administration à une personne.
L’argent, l’autre péché mignon
Ousmane Sonko en était arrivé à croire qu’il pouvait se permettre tout ce qui restait interdit aux autres hommes politiques. C’est ainsi qu’il lança une campagne internationale de collecte de fonds pour financer les activités de son parti. Le Président Macky Sall semblait chercher à vouloir éviter d’en arriver à une confrontation avec Ousmane Sonko et avait donné des instructions au ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome, d’alerter les responsables de Pastef sur l’illégalité de leur initiative et leur demander d’y mettre un terme. Ousmane Sonko et ses partisans se mettaient dans une logique de défiance vis-à-vis de l’Etat. Nous écrivions, dans une chronique en date du 11 janvier 2021, qu’avec cette campagne de collecte de fonds, «Ousmane Sonko risque de donner le bâton pour se faire battre». En effet, «on peut bien deviner que ce serait un jeu d’enfant, pour un pouvoir politique qui songerait à nuire à un opposant, de trouver le moyen d’identifier, parmi des milliers de donateurs, des citoyens étrangers ou appartenant à des milieux interlopes qui participeraient au financement. Le cas échéant, Ousmane Sonko ne pourrait pas dire n’avoir pas été prévenu».
On a entendu dire que tout cela procède d’erreurs de jeunesse, mais on rétorquerait que confondre une erreur d’une faute est une faute et en politique, une erreur privée constitue une faute politique.
La stratégie de l’enfumage ou l’organisation de la désinformation
La ligne de défense de Ousmane Sonko est empruntée à la logique conspirationniste. Finalement, tout le Sénégal a fait partie d’un complot contre Ousmane Sonko pour l’attraire dans un salon de massage et le faire accuser de viol en vue de ternir son image. On a accusé tour à tour le Président Macky Sall, son ministre de l’Intérieur Antoine Diome, le procureur de Dakar Serigne Bassirou Guèye, le président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse, le député Pape Sagna Mbaye, le président du Conseil économique, social et environnemental Idrissa Seck, la Première dame Marème Faye Sall, le journaliste patron du Soleil Yakham Mbaye, l’avocate Me Dior Diagne, le directeur général de l’Anamo Maodo Malick Mbaye. Il ne reste que les flics et autres barbouzes ainsi qu’une puissance étrangère, pour que le tableau soit complet. Il n’y aurait pas besoin d’aller chercher loin pour impliquer une puissance étrangère, car la France a le dos assez large et constitue toujours le suspect habituel. Déjà, les partisans de Ousmane Sonko, en furie, ont attaqué des commerces portant des insignes de multinationales françaises comme Auchan et Total.
L’homme politique français Charles Pasqua avait déjà théorisé cette façon de faire en laissant à la postérité que «quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien». Notre brillantissime regretté confrère Babacar Touré appelait cela «organiser la désinformation».
C’est dans cet esprit qu’il faudrait comprendre les pseudo-fuites de l’enquête distillées par certains médias bien choisis. Aussi, les défenseurs de Ousmane Sonko font feu de tout bois en lançant simultanément plusieurs polémiques ou des débats religieux sur cette affaire de viol présumé. Des montages audio et vidéo impliquant même des chefs religieux sont balancés dans les réseaux sociaux, et des acteurs totalement étrangers à cette affaire sont aussi convoqués comme des témoins pour disculper le présumé violeur ou accuser la plaignante Adji Sarr de tous les péchés. Il reste que c’est Ousmane Sonko, lui-même, par son bavardage et ses mensonges, qui risque de donner du crédit aux accusations de Adji Sarr.
Ousmane Sonko victime du syndrome de l’hubris
Cette affaire de la plainte de Adji Sarr contre Ousmane Sonko a été rendue publique par la livraison du journal Les Echos, du vendredi 5 février 2021. C’était la stupeur et d’aucuns ne voulaient pas y croire, d’autant que Ousmane Sonko assurait à ses proches n’avoir jamais mis les pieds dans ce salon de massage «Sweet beauty». On saura le lendemain, grâce aux publications des médias, que Ousmane Sonko avait ses habitudes dans les lieux et s’y rendait nuitamment. Le tollé était grand et la convocation envoyée par les enquêteurs à Ousmane Sonko en rajouta à l’émoi. Le leader de Pastef se sentira obligé, dans la nuit du dimanche 7 au lundi 8 février 2021, d’appeler les médias pour faire une déclaration, en direct sur les chaînes de télévision, pour se prononcer sur cette affaire. L’exercice se révéla un exemple parfait de ce qu’il ne fallait pas faire et constitue un catalogue de maladresses. Le mensonge (par omission ?) qui sera le plus remarqué est que Ousmane Sonko avait choisi de ne pas évoquer la question du prélèvement de sperme sur Adji Sarr, après un rapport sexuel (consenti ou forcé ?) alors que ce point était au centre des informations livrées par les médias. Ousmane Sonko montra une obsession de sa propre image. Dans son discours, il ne reconnut aucune faute, aucun tort. Tout était le fait du méchant Macky Sall et de ses partisans. Il n’y avait pas place à du regret, de la contrition ou du repentir, encore moins d’excuses pour ceux à qui il pourrait faire de la peine par son incartade d’avoir eu recours, plus d’une fois, aux prestations de «Sweet beauty». L’homme était apparu trop imbu de sa personne, narcissique, sans le moindre brin d’humilité. C’est ainsi qu’il fabriqua une histoire, à dormir debout, de massages thérapeutiques prodigués par les mains «expertes» des filles de «Sweet beauty». La ficelle s’est révélée si grosse que, plus jamais dans leurs arguments de défense, l’alibi du massage thérapeutique n’a été repris par les partisans de Ousmane Sonko. Ce même Ousmane Sonko a forcé sur sa grande morale religieuse jusqu’à dire avoir préalablement cherché et obtenu la validation de la licéité en islam des massages par d’autres femmes. Peut-être que l’aveu d’une attitude déplacée aurait valu au Pastef de perdre quelques voix qui étaient séduites par l’idée qu’elles se faisaient de Ousmane Sonko d’être un parfait musulman rigoriste. Seulement, à l’opposé, il serait un banal tartuffe qui aurait peut être gagné de nombreuses autres voix de jeunes dames qui percevraient ainsi Ousmane Sonko comme un homme ordinaire, capable de pécher et qui pourraient trouver qu’il y aurait encore de la place, dans son joli cœur, pour deux autres épouses. Ainsi, aurait-il gagné au change ? A tout le moins, il lui serait loisible de demander à celui qui n’a jamais péché de lui jeter la première pierre. Sa défense aurait été plus commode et le dossier du viol aurait pu se dégonfler plus facilement. La bataille de l’opinion publique serait encore plus aisée pour l’opposant Ousmane Sonko. Au demeurant, Adji Sarr ne peut même pas espérer un brin d’empathie de la part des organisations féministes ou humanitaires. Elle se fait même flageller. Par contre, si les accusations étaient portées contre un proche de Macky Sall, l’hallali serait sonnée contre le mis en cause. En effet, on a coutume d’observer au Sénégal que les opposants sont innocents de tout.
La connerie de trop : l’appel à ses partisans de donner leur vie pour le sauver
Ousmane Sonko, qui manquait de sérénité lors de sa déclaration à la presse, n’a pas trouvé plus intelligent que d’appeler ouvertement ses partisans à l’insurrection. Pour sauver leur leader d’un ignoble complot organisé par le régime de Macky Sall, Ousmane Sonko les a exhortés «à aller au-delà de la bataille dans les réseaux sociaux et de descendre dans la rue, quitte à y laisser leur vie». Ces appels répétés étaient sans équivoque et ont été immédiatement suivis d’effets. Quelques hordes de militants ont saccagé des biens publics et privés et ont mis le feu à des installations, des commerces, des domiciles habités et des véhicules. Pour d’aussi graves actes criminels, une enquête judiciaire est ouverte et des dizaines de personnes incarcérées. On ne peut s’imaginer que l’incitateur de telles violences puisse être épargné par le glaive de la justice. Aux Etats-Unis d’Amérique, le Président Donald Trump, qui avait chauffé à blanc ses partisans pour aller à l’assaut du Capitole, n’a pu échapper à la prison, comme du reste les auteurs des actes de vandalisme, que simplement parce qu’il était protégé par son statut de Président des Etats-Unis, au moment des faits ; ce qui lui confère une irresponsabilité pénale. N’empêche, les institutions américaines qui se sont senties humiliées et agressées ont, vaille que vaille, cherché à lui faire payer son forfait. Il appartiendra aux juges de situer les responsabilités des uns et autres sur l’accusation de viol portée contre Ousmane Sonko et son niveau de responsabilité dans les casses menées par ses partisans à travers les rues.