Casamance/Ibrahima Ama Diémé, membre du GRPC : « Il faut que Salif Sadio soit convaincu qu’il doit évoluer dans le sens de la paix…car aujourd’hui personne ne peut se prévaloir d’un mandat de discuter tout seul de l’avenir de la Casamance »

En tant que témoin de la crise casamançaise et acteur engagé du processus de paix, quel est le niveau actuel du dossier casamançais ?   Nous tous, qu’on soit Casamançais en particulier, sénégalais en général et même habitant de la sous-région ouest africaine nous devons nous réjouir de la situation actuelle et rendre grâce à dieu qu’on ait pu arriver à cette accalmie que tout le monde constate et dont tout le monde profite ; et ce, quel que soit les positions que l’on occupe du reste. Que l’on soit membre des forces de sécurité, autorités administratives ou politique, ONG, des citoyens tout court, des étrangers venant ou vivant en Casamance, tous doivent rendre grâce à dieu de pouvoir profiter de cette accalmie qui constitue déjà une paix qui frappe à la porte de notre pays.   Qu’est ce qui a, selon vous, rendu possible cette situation d’accalmie ?   Là il faut reconnaitre les efforts des uns et des autres. Je vous disais il y a quelques années qu’on a senti de la part du président de la république son excellence le président Macky Sall sa volonté de résoudre cette crise. Il l’a manifesté à plusieurs occasions, avec trois séjours à Ziguinchor en dehors des séjours réguliers comme les conseils des ministres décentralisés voire les campagnes électorales à travers le Sénégal. Pour Ziguinchor en tout cas, il est venu ici à trois reprises pour montrer sa volonté à accompagner le processus pour que le Sénégal dans son intégrité puisse vivre la paix. Il y a aussi de l’autre coté les responsables du MFDC qui avec l’avènement de Macky Sall, ont manifesté leur désir de marquer un temps d’arrêt pour voir un peu ce qu’il va leur proposer. Il y a enfin les acteurs du processus parmi lesquels le GRPC auquel j’appartiens en plus d’autres agents, des bonnes volontés, des ONG, etc. qui dans l’ombre travaillent à ce que la paix revienne. Tout cela a amené les résultats que nous vivons aujourd’hui. Et il faut magnifier cela et souhaiter que tous nous nous engageons à consolider ces acquis là parce qu’aucun d’entre nous n’a intérêt à ce que cette situation se détériore et qu’on revienne à la case de départ, c’est-à-dire à ces périodes de violence, de velléités de braquage par ci par là, et de tentatives de mettre fin aux accords, etc. Retourner la-dans c’est retourner à nouveau dans un cycle de violence dont on ne peut pas mesurer les limites. Voilà le cadre campé : l’administration fait ce qu’elle peut, l’Etat en tant que tel fait ce qu’il peut, les combattants du MFDC font ce qu’ils peuvent et nous autres du GRPC qui sommes des facilitateurs du processus nous continuons à travailler dans ce qui est notre mission ; à savoir conseiller les deux protagonistes. Aux combattants du MFDC on leur fait savoir que la seule issue valable pour chacun c’est d’arriver à s’asseoir autour d’une table avec leurs interlocuteurs qui sont à la tête de l’Etat ; l’Etat qui, le moment venu va envoyer des délégués pour discuter avec le MFDC. Et c’est autour de cette table maintenant que toutes les questions seront posées et les réponses seront apportées dans la mesure du possible et dans la mesure de l’acceptable. Voilà un peu comment le processus devrait se dérouler.         Et où en sont concrètement les contacts entre l’Etat et le Mfdc ?   Je voudrais préciser d’ailleurs au moment où nous parlons que le président de la république a mis une structure de dialogue qu’il appelle le Comité Ad ‘hoc et à la tête duquel se trouve l’Amiral Sarr. Ce dernier discute avec les éléments du MFDC auxquels il a axé, en attendant qu’il puisse accéder à tout le monde pour que justement les discussions s’engagent. Et nous au GRPC nous travaillons à préparer les documents au moins qui pourraient faire l’objet de consensus ; entre d’abord les différents segments du MFDC mais également entre les différents segments du MFDC et le reste de la population casamançaise. Parce que quand même il s’agit là de discuter de l’avenir de la Casamance. C’est dire qu’il n y a pas aujourd’hui quelqu’un qui peut se prévaloir d’un mandat de discuter tout seul de l’avenir de la Casamance. Il faudrait donc qu’on aille vers la réconciliation des casamançais ce qui va permettre de faciliter le processus de renforcement du retour de la paix. Donc c’est ce travail là que nous sommes entrain de faire et qui se poursuit avec l’espoir que très certainement les différents segments du MFDC, ceux armés comme politiques, de l’intérieur comme de l’extérieur, s’accorderont sur la nécessité qu’il n y a pas de crise sans solutions, de crise sans fin. Et nous ne sommes pas des extra-terrestres nous les casamançais pour que notre situation soit celle qui sera la seule que le monde n’arrivera pas à voir résolue. On a connu des crises en Amérique latine avec les FARC mais c’est terminé aujourd’hui et on ne parle plus de la crise en Colombie comme on en parlait dans le temps. Il faudrait aujourd’hui que les casamançais acceptent qu’il faut savoir mettre fin à une situation. Et autant il a fallu un courage pour s’engager dans le maquis afin de vouloir défendre des idéaux, autant il faut plus de courage pour aller vers la fin de la crise parce qu’aujourd’hui tout le monde veut que cette crise là connaisse sa fin.                Est-ce à dire que vous ne cautionnez pas la démarche solitaire de Salif Sadio qui a avait commencé à organiser des foras pour s’adresser aux populations casamançaises ?   Là aussi il faudrait dire que de tous les chefs du maquis Salif s’était distingué pendant certaines années comme étant quelqu’un de très favorable à la nécessité de trouver un consensus autour de la problématique de la Casamance. Et il est resté à mon avis dans cette logique ; car il faut rappeler que malgré ce qu’on peut dire de Salif Sadio c’est lui qui a accepté le premier de discuter avec le Comité Ad ‘hoc par Saint ‘Egidio interposé et c’est lui qui accepté d’envoyer des émissaires à Saint ‘Egidio pour discuter avec les interlocuteurs de l’Etat.   Qu’est ce qui s’est passé par la suite ?   Je ne suis pas dans le secret des envoyés de Salif, mais je crois savoir que leurs discussions ont buté. Sur quoi elles ont buté ? Eux seuls le diront. Mais brusquement au moment où les autres segments du MFDC ont enclenché leur processus d’unification de leur mouvement afin d’aller à la table des négociations tel que proposé par le Comité Ad ‘hoc, on assiste à des tentatives de sortie de Salif ; des tentatives que je considère à la fois heureuses et malheureuses. Malheureuses parce que la première fois qu’il a sorti un communiqué pour une communication à Koundioughor afin de dire aux casamançais et à l’opinion quel est l’état des négociations entre lui et le Comité Ad ‘hoc à Saint ‘Egidio personnellement j’ai applaudi ; car je me disais que maintenant on va savoir qu’est ce qu’ils se sont dits à Saint ‘Egidio, quelles sont les difficultés si difficultés il y a et quelles sont les étapes à franchir. Mais malheureusement on constate qu’il n’a pas été lui-même à Koundioughor ; il a envoyé à sa place des représentants et lesquels, au lieu de parler des contours de la rencontre de Saint ‘Egidio, sont revenues sur les attitudes qui ont précédé l’éclatement de la violence dans la région. Finalement je me suis dit est ce que c’est ça que les casamançais attendaient, est ce que c’est ça que l’opinion attendaient ? Est-ce que c’est la non négociabilité de l’indépendance de la Casamance que les casamançais attendaient ? Non ! Ce qu’ils attendaient, c’est de dire que nous avons été à Saint ‘Egidio, nous avons discuté de tel et de tel problème, voilà où on s’est entendu et voilà les points de désaccord. C’est pourquoi tout le monde est resté sur sa faim après la sortie de Koundioughor. Et brusquement encore on apprend que ça va se passer à Thionck-Essyl et après Thionck-Essyl Diouloulou.   Mais cela ne s’est pas passé bien à Diouloulou et à Kagnobon comme Salif l’avait planifié   Si Salif pense que l’Etat du Sénégal est son interlocuteur, lorsqu’il veut aller dans une localité quelconque il faut qu’il s’adresse au moins à l’autorité de cette localité. Et que celle-ci lui dise oui tu peux ou tu ne peux pas. Et si l’autorité de la localité donne un avis défavorable je ne pense pas moi, et si c’est un conseil qu’il va prendre en bien ou en mal et il est libre de le faire, que ça soit raisonnable de sa part de dire qu’il va organiser par la force son assemblée générale. Ce qui a amené ce qu’on a connu à Diouloulou et à Kagnobon. Parce que de toutes les façons il n’est pas allé tout seul à Saint ‘Egidio mais il est allé avec des représentants de l’Etat. Il n’est pas allé tout seul pour discuter d’une question crypto-personnelle mais plutôt d’une question qui intéresse à la fois les autorités du Sénégal, son groupe à lui et les autorités locales des villages des communes dans lesquelles se trouvent les villages. Il faut qu’il tienne compte de l’opinion de tous ceux là. Mais au finish on a constaté que ça s’est terminé à Kagnobon avec la dislocation de la tentative de réunion ponctuée par des interpellations et par la suite des procès au tribunal. A mon avis ce fut un procès d’apaisement ; car les juges qui avaient en charge ce dossier n’ont pas eu la main lourde. Ce qui était d’ailleurs la meilleure attitude car il fallait que les gens sentent que de part et d’autres il y a encore cette volonté d’accalmie, cette volonté de renforcer cette accalmie et de rechercher la paix non pas par la force mais par un processus de dialogue. Et qui dialogue dit capacité d’écoute des acteurs, volonté d’écoute des acteurs. Quand quelqu’un dit que je veux faire ceci et que l’autre répond que ce n’est pas possible, essayons alors de voir sur ce que l’on peut s’accorder et on avance.   Salif Sadio demeure-t-il toujours cet élément incontournable dans ce processus de paix comme vous le prétendiez vous-mêmes il y a de cela de deux ans ?   Oui jusqu’à présent et compte tenu de ce qu’il a été dans le maquis et dans le MFDC en général il faut que Salif reste un élément qui va compter dans le processus de négociation. Maintenant il faut que lui-même soit convaincu qu’il faut qu’il évolue ; qu’il évolue dans le sens de la situation actuelle. Et la situation actuelle est que les gens veulent la paix, ils veulent connaitre cette Casamance pacifique, accueillante, qui intègre tout le monde et qui il soit l’exemple même de ce que les sénégalais rêvent d’être, un Etat où il y a toutes les civilités, toutes les conditions de cohabitation pacifique sans tenir compte ni de l’appartenance ethnique, religieuse, etc. On se félicite souvent qu’à Ziguinchor nous avons un cimetière qui est à la fois pour les chrétiens et pour les musulmans, et nous sommes dans une région où à la limite d’une forêt sacrée on enterre et les catholiques et les musulmans et les animistes, etc. une région cosmopolite à tout point de vue où il y a tous les noms de famille que vous trouvez au Sénégal et dans la sous-région. Donc il ne saurait y avoir d’exclusion pour dire que X n’est pas ceci et Y est cela. Et malheureusement c’était ça qui avait amené la crise qui s’était posée ici au-delà des éléments matériels qui étaient des objets de revendication des populations en son temps avant 1982 d’ailleurs. A savoir les questions d’ordre économique, social, de développement de scolarité, de santé, etc. Cela a fait donc un ensemble de revendications et malheureusement les gens se sont engouffrés dans l’exclusion et c’est cela qui a créé cette crise que l’on a connu mais qui heureusement, dieu merci, est entrain de s’éteindre progressivement avec une gestion plus responsable. C’est pourquoi j’interpelle tout le monde à voir ce qui est l’intérêt de tout le monde. Une chose est de décider d’aller dans un processus de guerre une autre chose est d’être certain qu’on ne maitrise pas quand est ce cette guerre sera terminée. Donc il vaut mieux ne pas aller dans cette guerre et essayer de maitriser tous les éléments qui peuvent concourir à un apaisement définitif que de vouloir remettre en cause cette paix là que nous vivons et dont nous profitons nous tous.   Professeur comment on en est arrivé d’ailleurs à cette crise qui hante encore le sommeil de certaines franges de la population ?   Parce qu’il faut dire du point de vue historique si la conquête qui a permis la création de l’Etat du Sénégal s’était terminée dans la plupart des superficies du Sénégal notamment du Nordet à l’Est en 1900, en Casamance à cause des difficultés d’accès dans certaines zones qui constituaient elles des zones refuges, la conquête ne s’est pas parachevée jusqu’au moment de l’indépendance. Il y a eu des zones où les gens ont résisté jusqu’à l’indépendance. C’était d’ailleurs normal car à l’époque il n y  avait pas d’entités qui résistaient ou pas, mais c’était quelques groupuscules voire même des tribus. C’est vrai que lorsqu’on parle du royaume d’Affelidio Manga, à l’échelle des grands Etats, ce royaume ne peut être considéré comme une tribu des Bandial. Tout comme quand vous allez dans le Oussouye le roi n’a de pouvoir que dans Oussouye et aux alentours mai pas au-delà. Vous allez à Mlomp le roi a là-bas également son pouvoir juste au tour de Mlomp, Idem à Kalobone, etc. Donc il faut que les gens connaissent leur histoire. Un village casamançais qu’il soit Diola, Balante, Manjacque ou autre était un village qui se suffisait comme juste un Etat, une république. Et les litiges étaient déjà entre ces villages là ; et ils étaient à l’état latent parce que justement le processus de création d’un Etat beaucoup plus grand, multiethnique, multiracial n’était pas terminé chez nous. Et la crise arrive ! Dès qu’elle a éclaté en 1982, en moins de 22 ans d’indépendance du Sénégal, l’Etat n’était suffisamment bien construit dans la région. L’autorité qui représentait à l’époque l’Etat et qui s’appelait le chef d’arrondissement ou à la limite le chef de village n’avait pas encore tous les égards, tout le consensus de ceux qui étaient censés être ses administrés. Tout cela a contribué à fragiliser davantage la région avec l’éclatement du conflit. Du coup, ceux qui avaient des problèmes personnels avec un chef de village se sont engouffrés la-dans ; ceux qui avaient des problèmes personnels d’héritage, des problèmes de terre à l’intérieur d’une même famille se sont engouffrés la-dans ; ceux qui avaient des problèmes de frontières entre leur village et celui d’à coté se sont introduits la-dans. Tout cela fait un ensemble de problèmes qu’il faut absolument gérés et qui ne seront même pas définitivement gérés même si la crise se terminait. Dans tous les Etats du monde, si on suit l’actualité, se pose des problèmes de terre ; une terre pour l’habitat, pour l’exploitation et une terre qui a un statut qui varie selon les moments, selon les régimes. Et c’est cette terre là qui nous donne tout et où nous retournons.   Vous semblez donc incriminer l’incapacité des politiques à faire face aux crises latentes ? Et quid en outre de la responsabilité de l’Etat ?   Mais aujourd’hui les débats d’ordre politiciens c’est qu’il y a du minerai quelque part. Ceux qui habitent disent que c’est notre terre à nous donc notre minerai à nous ; l’Etat dit que c’est le minerai de l’Etat car il est propriétaire de tous les minerais, des mines qu’il y a dans son territoire. Et les populations locales poussées par d’autres forces oppositionnelles qui plaident pour le droit de propriété s’opposent. Le cas du zircon de Niafrang est là ; certains disent que c’est le zircon de Niafrang personne ne doit l’exploiter, etc. Alors que du point de vue de la loi actuelle les minerais appartiennent à l’Etat et c’est à l’Etat de décider de les exploiter ou pas. Et il le fait en conformité avec ce qui est de son intérêt mais également avec l’intérêt des populations qui vivent dans la zone parce que c’est le seul représentant légal des populations, qu’elles soient du sud, du nord, de l’Est ou de l’Ouest. Ce débat il faut qu’on l’engage, que ces populations qui sont dans ces zones là, que ce soit à Niafrang, Cap Skirring, au Falémé, à Diogo, Mboro, etc. sachent qu’elles n’existent parce que l’Etat leur apporte une certaine garantie de droit et de liberté. Parce que s’il n y avait pas cet Etat là, cette stabilité là on aurait des situations vécues ailleurs. Je ne vais pas citer de pays mais vous savez que tous les matins on entend qu’il y a des attaques par ci avec tant de morts, des attaques par là avec son lot de victimes, des mouvements de ceci et de cela, etc. Mais ici au moins la stabilité est garantie par l’Etat qui garantie à tous les citoyens la libre circulation à l’intérieur du territoire, et donc leur égalité. Maintenant rien n’est donné, tout se conquiert et il faudrait donc que les gens tiennent compte du fait que l’Etat garantie à tout le monde le minimum ; par conséquent nous devons reconnaitre à l’Etat le droit et le devoir de prendre en compte justement certaines de nos préoccupations ; notamment à un environnement décent, l’accès à l’école pour tous les enfants qui vivent dans le territoire sénégalais, l’accès à la santé, etc. Mais tout cela demande beaucoup de moyens et l’Etat doit investir. Mais il ne peut investir qu’à partir des ressources qu’il y a d’abord à l’intérieur du territoire national. Donc c’est à l’Etat de dire si j’exploite tel minerai, telle richesse que le bon dieu a mis à la disposition de mes populations ça me rapportera ceci et en contrepartie cela va me permettre de faire différents types d’investissements. Les gens réclament des routes, de l’électricité, de l’eau ; et tout cela c’est de l’argent. Et nous sommes dans une région où malheureusement à la faveur de la crise les populations ne payent plus d’impôts. Alors d’où viendront les ressources qui vont permettre aux collectivités territoriales de pouvoir prendre en compte un minimum d’investissements ? Or les maires on les a élus pour qu’ils fassent des investissements.   Vous posez le problème de la gestion des ressources au niveau des collectivités territoriales apparemment ?   Les ressources elles sont nombreuses ; elles sont d’ordre forestières, végétales, halieutiques, minières etc. Mais pour qu’on puisse les exploiter au bénéficie des populations il faut que les gens acceptent de s’asseoir et de discuter afin d’avoir une organisation minimale ; et laquelle organisation permettra d’exploiter les ressources dans le seul intérêt des populations mais également en tenant compte également de cette présence de l’Etat qui en fixe les règles, en tenant compte en outre du milieu. Imaginez quelqu’un qui vit dans une zone forestière et qu’un jour, parce qu’il y a un problème, on dit interdiction absolue de coupe de bois. Mais l’impact de cette décision il faut le voir ; car cela veut dire pas de menuisiers dans la zone, pas de bucherons dans la zone, difficultés de s’approprier en bois de chauffe pour la cuisine. Et dans un pays, une région où l’utilisation du gaz butane n’est pas généralisée, dans une zone où l’artisanat procurait un minimum, même si l’emploi n’est pas permanent, une telle décision est forcément source d’inquiétudes. Parce que si le menuisier ferme sa boite faute de bois, cela va poser problème. Voilà pourquoi toutes ces questions devraient faire l’objet de discussions mais dans un Etat apaisé, dans une région apaisée ; et où tous les acteurs devraient s’accorder que la forêt elle existe et qu’on ne doit pas accepter son exploitation abusive et lorsqu’on l’exploite que ce soit de façon rationnelle.   Vous plaidez donc pour une exploitation rationnelle des ressources ?   L’exploitation rationnelle commence d’abord par se poser la question de savoir comment nos ancêtres ont fait pour conserver cette forêt jusqu’à l’état où nous l’avons trouvé. Tout simplement eux avaient une préoccupation par rapport à l’arbre, ils avaient des relations avec l’arbre qui font que quand tu coupes tu plantes. Même quand tu vas défricher ton champ, tu le fais en tenant compte de certaines espèces que tu es obligé de conserver dans le champ parce que ce sont des espèces qui soit donnent des fruits, soit elles sont à vocation médicinale avérée, des espèces rares qu’il faut protéger, qui nourrissent les animaux donc des espèces qui contribuent à l’équilibre de l’écosystème et doivent donc survivre. Malheureusement aujourd’hui quand on coupe on le fait systématiquement en se basant souvent sur une loi qui leur donne l’autorisation, le permis de coupe et qui fait que tu coupes tout ce que tu veux. Or lorsque tu coupes un arbre tu en détruis peut-être d’autres ; or vous n’avez as planté en retour. Moi j’ai toujours pensé que l’autorisation de permis de coupe devrait être assujettie à la plantation d’un minimum de plants. D’abord par celui qui obtient l’autorisation de coupe et en fonction de la surface dégagée. Si c’est un exploitant industriel oui on lui donne l’obligation de planter des hectares et des hectares ; si maintenant c’est quelqu’un qui fait un dégagement tout juste pour faire sa case ou juste pour cultiver son champ on lui autorise mais tout en le sommant de planter 10 voire 20 arbres de la même espèce que ceux détruits pour la pérennisation de celle-ci. Mais tout cela doit être consensuel et il faut que les gens acceptent de discuter plutôt que de dire c’est interdit et personne ne fait plus rien. Exemple pour le charbon on en voit tout le long des routes de Bignona des sacs en vente et personne ne dit rien. Et il suffit que vous vous achetez ce sac vous entrez à Ziguinchor et l’agent des eaux et forêts vous interpelle pour dire que vous n’avez pas lez droit de prendre ça car c’est interdit. Alors finalement qu’est ce qu’on interdit ? Est-ce le fait que le sac de charbon se déplace d’une zone à une autre ou que quelqu’un fasse du charbon. Là également cela doit être assujetti à une concertation ; car il faut bien que ce débat soit posé de façon responsable et de façon sereine, pour essayer de comprendre quelle relation y a-t-il entre l’homme et l’arbre dans ces zones où nous vivons. Et malgré tout cela c’est dans cette région où nous trouvons encore le plus de forêts et où on trouve encore la volonté de protéger cette forêt là. Seulement c’est parce qu’on ne le fait pas de façon rationnelle et de façon concertée que l’on a cette mésentente entre qui fait quoi et qui le fait comment. Et c’est ce qui est aujourd’hui l’essence même de toutes les politiques que nous devrions élaborer pour les années à venir. La Casamance émergente dans un Sénégal émergent ne peut pas être sans ses forêts, sans ses marigots, ses plantations, ses menuisiers, ses artisans, etc.   Par rapport à tous ces enjeux, pensez-vous que les collectivités territoriales sont également conscientes de leur rôle et responsabilité. N’a-t-on pas l’impression ici que le développement est  une affaire exclusive de l’Etat central?   Cette question avait une fois fait l’objet d’un débat entre nous. Et vous m’aviez demandé si les collectivités locales ont des ressources pour leur développement. Je vous avez dit à l’époque ces collectivités locales là sont les plus riches du pays avec tout ce que dieu a mis à leur disposition. Mais le problème avec ces collectivités locales c’est qui est ce qui les animent et comment on procède au choix de ceux qui les animent? Je dis que du point des ressources humaines la région n’a pas à se plaindre. Parce que vous prenez tous les corps d’activités les cadres de la Casamance sont à foison. Des plus grands professeurs d’université avec une bonne partie aujourd’hui à l’UASZ et dans les hôpitaux de Ziguinchor ; dans les corps d’armées ils y sont nombreux, idem pour la douane, la police, l’administration, les enseignants, les ingénieurs de l’agriculture les casamançais sont présents. Même du point de vue religieux de Djogué à Gouloumbou les foyers religieux sont également à foison. C’est dire que nous avons dans tous les domaines énormément de ressources humaines. Le hic c’est qu’on n’accepte pas ici de se concerter.   Cela n’est-il pas inhérent à nos pouvoirs locaux, que ce soit au niveau des mairies ou des conseils départementaux ?   Un maire, un élu un conseiller municipal doit pouvoir connaitre d’abord son environnement. Mais à la faveur des élections telles qu’elles s’organisent au plan local ce sont des associations, les partis politiques qui décident d’aller à la conquête des suffrages. Elles ont comme obligations de présenter dans une liste un nombre X de titulaires et un nombre Y de suppléants. Et ensuite avec la loi sur la parité faire en sorte qu’il y ait autant d’hommes que de femmes. La principale préoccupation c’est d’avoir une liste complète. Mais est ce qu’on veille sur la qualité de la liste ? Le problème il est là ; car l’objectif c’est de gagner. Et une fois qu’on a gagné celui que vous avez mis sur une liste pense que sa mission est terminée. Est-ce qu’on lui a dit en amont la responsabilité qui est la sienne en acceptant d’être dans une liste. Et cela est valable aussi bien chez le parti au pouvoir que ceux de l’opposition. Qu’on arrête de se tromper ; parce que souvent on pense que ceux qui sont à l’opposition sont les meilleurs et dès qu’ils arrivent au pouvoir ils deviennent pourris. Non c’est parce que tout simplement ils ne sont pas préparés aussi bien à l’opposition comme au pouvoir à aller à la conquête des suffrages. Je me rappelle bien à l’époque ce qui a créé un malentendu entre nous et les tenants du pouvoir, on avait dit qu’il ne faut pas s’arrêter à la loi qui dit que les partis politiques concourent à l’expression des suffrages, non. Il faut leur donner d’autres obligations, il faut que les partis politiques participent à l’éducation objective, à l’information et à la formation des citoyens. Comme ça quand vous discutez dans votre parti de ce que le citoyen peut faire ou non, vous verrez que les écarts de discours qui existent aujourd’hui vont se réduire ; et on ne va plus se jeter l’anathème tout le temps pour déranger tout simplement celui qi est au pouvoir mais on dira plutôt que ce qui l’a dit là entre dans le cadre de la construction d’un Etat, dans le cadre de la consolidation des acquis au niveau de l’Etat. Donc le problème il est là ; ceux qui sont sur les listes la mission que leur demandent les partis qui les investissent, c’est de les accompagner pour qu’ils gagnent, c’est tout. Et la masse qui l’accompagne vient voter et on gagne. Et le parti qui l’a mis sur la liste ne se préoccupe pas du sort de la collectivité locale ; et comme il l’a gagné 80 % des collectivités locales au niveau national se dit qu’il est le plus fort. Finalement chacun se retrouve confronté à la réalité de son terroir. Tu as 5 ans pour développer ton territoire. Avec qui ? Avec les populations qui t’ont élu et avec celles qui ont voté contre toi. Il faut arriver à les amener à un consensus en leur présentant un programme unificateur, partagé et qui est le programme qui préoccupe la majorité des populations qui vivent dans la collectivité que vous dirigez. Mais si vous attendez maintenant que le leader du parti qui vous a fait gagner vous dise ce que vous allez faire pour arriver à quelque chose, ce ne serait pas demain la veille.   Pr vous l’avez dit tantôt la région connait une accalmie que tout le monde magnifie. Mais il y a un problème récurent qui se passe dans le Balantacounda ; à savoir le vol de bétail qui risque si l’on y prend garde de déstabiliser cette bande frontalière avec la Guinée-Bissau. Votre avis sur cette situation ?   J’ai assisté le lundi dernier (2 septembre 2019) à une réunion à Goudomp organisée par l’ANRAC présidée par le préfet avec la présence de tous les maires dudit département, des élus politiques et de toutes les autorités administratives du département. Effectivement le problème du vol de bétail à pris aujourd’hui des proportions inquiétantes. Parce que ce n’est plus un vol ordinaire où on vient incognito voler et partir ; car le phénomène a pris d’autres propensions car les gens viennent faire maintenant des enlèvements de bétails, des rapts, des braquages de bétails ; et ce, avec des armes et d’arsenal dont ils disposent. Et cela se fait en direction des frontières, soit cela se fait du coté de Bissau vers le Sénégal ou du Sénégal vers Bissau. Nous nous plaignons en tant que Sénégalais mais je suis sur que nos voisins de Bissau qui sont le long de la frontière se plaignent de la même manière. Et oui ça peut être un problème qui peut menacer la stabilité au niveau de la frontière mais il faudrait que nous sachions raison garder. D’abord le bétail est une valeur, une richesse pour son propriétaire ; donc lui a l’obligation de protéger son bétail avant de solliciter une protection collective, de celle de la collectivité ou de l’Etat. Le propriétaire de la richesse doit se donner les moyens de la protéger, c’est important. Maintenant l’élevage tel que pratiqué chez nous continue comme cela se faisait au néolithique. Tu as deux vaches que tu détaches pour qu’elles aillent au moment où toi tu dors tranquillement ; parfois tu as un petit garçon qui les suit et le soir il les ramène à la maison et c’est tout. Alors que c’est une richesse extraordinaire que tu as entre les mains ; une richesse qui nourrit la population et le monde entier. C’est comme si vous avez beaucoup d’argent ; si vous devez le garder à la maison vous le faites dans un endroit assuré pour que n’importe qui n y accède pas ; sinon vous aurez la visite de malfrats à tout moment. C’est la même chose.   Que proposez-vous concrètement pour l’éradication de ce nouveau fléau du Balantacounda ?   Je crois qu’aujourd’hui il est temps de nous orienter vers la modernisation d’un nouveau type d’élevage. Pourquoi pas aller vers la création de fermes ou de ranchs à la hauteur des villages, des communes pour qu’au mois on sache que les bêtes du village, de la commune sont dans tel ranch. Et à l’intérieur du ranch bien construit bien sécurisé chacun pourra y garder son troupeau. Et peut-être là l’Etat pourrait même intervenir. Une fois qu’on a ça, les animaux sont protégés et on va voir ensuite comment créer du personnel local pour assurer la sécurité et la gestion du ranch. Comme ça quand quelqu’un viendra dans le ranch on saura d’où il vient et qu’est ce qu’il vient y faire. Et le cas échéant ce dernier saura qu’en face de lui il y a déjà une résistance avant même que l’Etat ne soit interpellé. Et  ces ranchs une fois qu’ils existent vont entrainer d’autres activités connexes. Car il faut forcément produire de la fourrure pour nourrir les animaux et c’est pour l’intérêt du ranch. C’est ça qui va créer de la plus-value, de la valeur ajoutée. Cela fait des revenus et crée des emplois. Mais il faudrait que les élus locaux et ceux du niveau national posent le problème de cette façon. Nous ne pouvons pas continuer à avoir un élevage moderne si l’on continue à garder les animaux tels qu’on le faisait depuis des millénaires, ce n’est pas possible. Encore qu’à l’époque il n y avait pas l’exode rural tout le monde était sur place et les animaux avaient suffisamment de gardiens costauds pour pouvoir les protéger. Aujourd’hui les enfants déjà à 7 ans sont à l’école pour en sortir après 25 ans. Donc les vieux ne peuvent pas continuer à surveiller les animaux et en même temps les cultures. Ce qui fait d’ailleurs que notre agriculture souffre également. Qu’est ce qui se passe ? Vous voulez du niébé si vous n’avez pas de clôture ce sont les animaux qui viendront tout détruire. Les communes n’ont même pas de fourrière pour que les animaux en divagation y soient mis. Et quand vous circulez la nuit vous voyez des bœufs couchés le long de la route et on ne sait pas d’où ils viennent, vous les trouvez entre deux villages on ne sait pas à qui ils appartiennent. C’est pourquoi ces vols, les gens ne les déclarent qu’une, voire deux semaines après. C’est-à-dire quand vous vous rendrez compte que votre taureau gris n’est plus là. Mais quand est ce qu’on l’a pris, vous ne savez pas. Parce que vous ne savez pas où est ce qu’il dort, s’il est en bonne santé, etc.   Est-ce à dire que la responsabilité des populations concernées par ce fléau, des élus locaux est engagée ?   Il faut que les gens s’engagent, et c’est la responsabilité des élus locaux et des politiciens, d’éduquer les populations quant à la place que doit occuper l’élevage et même l’agriculture dans le développement économique de notre pays. Et que les jeunes aussi se démobilisent de plus en plus des navétanes pour s’occuper de ces richesses là ; parce que ce sont les richesses de leurs parents. Vous vous constatez que nous sommes en plein dans l’hivernage et tous les soirs à Ziguinchor c’est le stade qui est plein de monde de 17 heures jusqu’à 5 heures du matin. Le lendemain ces jeunes sont tous couchés pour reprendre encore à 17 heures. Alors que c’est le moment où on a besoin d’eux pour prendre en charge ces richesses qui leur appartiennent et à partir desquelles ils peuvent s’épanouir.     

Le conflit a engendré un nombre important de personnes déplacées et de réfugiés ; concrètement que faut-il faire pour cette frange importante de la population aujourd’hui dans le désarroi ?

Vous avez raison le conflit a entrainé beaucoup de déplacés. Il y a même des villages qui ont disparu de la carte du fait de ce conflit ; principalement dans les zones frontalières entre la Guinée-Bissau et le Sénégal mais également entre la Gambie et le Sénégal. Et les populations sont soit allées dans les deux territoires voisins, la Gambie et la Guinée-Bissau, et même au-delà ; à savoir en Guinée Conakry, en Mauritanie, au Maroc, en Europe, etc. La plupart des MFDC de la diaspora sont souvent partis à cause de cette crise là. A l’intérieur également, nonobstant la non proximité d’avec les frontières, certains villages ont également souffert de crise. Au niveau du GRPC nous avons pris contact avec les réfugiés qui sont en Gambie et en Guinée-Bissau. On a discuté avec eux et ils nous ont manifesté leur volonté de revenir dans leurs villages. Mais nous tous savons que ce retour est assujetti à des conditions. La première condition c’est de parachever le déminage mais également poursuivre le processus pour que les raisons qui les ont poussées à partir ne soient plus là au moment de leur retour. Si c’est pour des raisons de sécurité que ces populations sont parties, ces raisons là n’étant pas définitivement éradiquées, il est difficile que ces populations reviennent. Pareil si c’est à cause des mines, ou des litiges de terres ; tant que ces problèmes là demeurent les populations ne pourront pas revenir. Les réfugiés rencontrés ont pourtant bien manifesté leur désir de revenir. Et je crois qu’avec les partenaires du Sénégal et l’administration locale et celle décentralisée des efforts sont entrain d’être faits à travers des concertations pour le retour des populations.               Quid Professeur de la problématique du déminage en Casamance avec les mines qui sont encore là dans certaines contrées et qui entravent, vous l’avez souligné, le retour de populations au bercail ?   Professeur vous êtes aussi un acteur culturel et nous sommes dans une région où il y a un bouillonnement culturel manifeste. Seulement le constat est que la Casamance ne profite pas encore de ses riches culturelles ; la culture qu’on évoque à longueur de journées mais qui ne profite point aux acteurs et aux communautés. Selon vous qu’est ce qu’il faut faire concrètement pour cette richesse profite véritablement aux acteurs et à la région ? C’est surtout cela le grand problème. On parle de culture parce qu’il y a eu à un certain moment une sorte de renouveau culturel, de renaissance culturelle et tout le monde s’est engouffré la-dans. Mais il faut accepter qu’en toute chose il y a quand même la nécessité d’avoir une certaine expertise. Comme l’élevage, l’agriculture, la pêche, il faut qu’on accepte également qu’on ne peut plus faire la culture comme on le faisait au 14ème, 15ème voire au 19ème siècle. Ce n’est plus possible. Et je prends un cas très simple pour le milieu diola que je connais bien. Par exemple un jeune diola qui doit aller dans le bois sacré avait en son temps un accoutrement fait de fibres de raphias ou de fibres de palmiers. Mais aujourd’hui s’il faut amener tous les initiés qui doivent aller au bois sacré à se procurer ses fibres là, mais c’est faire une razzia systématique sur la forêt et sur le peu de raphias qui restent dans la région. Parce que tout simplement la population a plus que quintuplé. Donc il faudrait qu’aujourd’hui qu’on imagine un autre mode d’accoutrement de ces jeunes qui vont dans le bois sacré. Mais également la répartition dans l’espace national et même dans l’espace mondial a fait que les jeunes d’un village se retrouvent parfois en Australie voire à des milliers de kilomètres de leurs terroirs. Et la coutume veut qu’à l’occasion que tout le monde se retrouve dans son village. Mais à quel moment vont-ils se retrouver dans leur village ? Est-ce que c’est pendant tout le processus d’initiation qui peut parfois durer selon les villages sur 5, 3, 2, 1 an ou alors faudrait-il qu’ils ne soient là que le jour de l’entrée dans le bois sacré ; quitte à ce qu’après on leur fasse faire un rattrapage de ce qu’ils n’ont pas vécu ? Cela est un problème et il faudrait donc qu’on le discute.                                                  L’environnement de l’Etat dans lequel on est fait que les gens ont des obligations professionnelles par rapport à l’Etat. Par exemple un  gendarme en service à Podor et dont le village fait cette année l’initiation ; est ce que l’Etat doit le libérer pendant toute l’année afin qu’il soit dans son village par participer à l’initiation ? Cela n’est pas possible. Pour tout cela nous devons engager la réflexion ; mais aussi il faut que les gens acceptent qu’il y ait une certaine expertise quand bien il devrait y avoir de cette expertise ceux qui sont les détenteurs de ce pouvoir là. Mais  tous doivent savoir que le monde à évoluer et qu’ils doivent aussi évoluent pour intégrer les données nouvelles pour que l’initiation puisse être maintenue au bénéfice des populations parce qu’elle a quand même des valeurs qu’elle inculque aux jeunes. C’est pourquoi d’ailleurs les jeunes casamançais sont d’une manière générale ont un sens civique élevé, un sens de responsabilité plus élevé et un sens de la tolérance plus élevé, etc. Mais puisque cela est utile, réfléchissons aux moyens à mettre en place pour moderniser les pratiques culturelles afin de pouvoir les rendre encore beaucoup plus utile.   En quoi faisant professeur ?   Pour ce faire il faut que les gens acceptent que ceux qui ont l’expertise puissent parler. Il ne s’agit pas de se dire par exemple qu’on va faire le Kagnalen, le rite de la fécondité, pour aller danser, etc. Non ! Il faudrait qu’on voit un peu quel impact ce rite peut-il avoir sur la cohésion de la société dans sa composante actuelle, dans ce mode de vie actuel. Vous prenez le Kankourang c’est la même chose. Nous à l’époque quand on voulait voir le Kankourang à partir de la route de Grand Dakar où il n y avait aucune habitation on prenait le risque d’être poursuivi parce que c’était le grand vide tout autour. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais est ce pour autant le Kankourang doit disparaitre ? Moi je dis non. Mais comment doit-il apparaitre dans Ziguinchor cosmopolite et avec tout ce que cela représente comme mythe ? Il faudrait que les gens réfléchissent. Qui doit sortir le Kankourang, qui doit l’accompagner, à quel moment doit-il sortir, quelles sont les limites qu’il ne doit pas franchir ? Ce sont des questions auxquelles les gens qui ont une certaine expertise à la fois traditionnelle, culturelle mais également intellectuelle mais qui appartiennent au monde culturel dont nous parlons s’asseyent et voient un peu quelle évolution faut-il accepter de donner pour que la culture soit là et qu’elle puisse servir. Ça c’est la première approche. Deuxième approche ces activités culturelles excessivement chères devront faire l’objet de prise en charge. Heureusement que la région a des ressources humaines très importantes tout comme de grands entrepreneurs issus de cette région. Et il faut que ces gens acceptent que la prise en charge de la question culturelle a un coût et il faut qu’eux aussi  s’impliquent et qu’on leur laisse leur place.   Faut-il dès lors craindre une déperdition culturelle ?   Lorsqu’il faut diffuser une activité culturelle, le bukut par exemple. En tant que manifestation n’importe qui a accès à l’information ; on peut venir prendre des images, des sons et les commenter à sa façon. En tant qu’activité culturelle maintenant si on n’a pas quelqu’un du milieu qui connait le sens de tous les actes posés afin qu’il les explique, eh bien, celui qui vient de Linguère ou de l’occident qui arrive et prend des images donnera l’explication qu’il entend lui donner et c’est tout. Et c’est cela qui déforme un peu la valeur de nos cultures ; parce que nous n’avons pas de sponsors engagés pour prendre en compte ces questions qui ont un coût. Mais malheureusement dans ce cadre là, les jeunes ont hérité d’activités louables, telles les journées culturelles. Cela a commencé à Ziguinchor avec des associations comme la Fraternelle et autres qui ont organisé des journées culturelles. Puis cela s’est répartie dans les villages qui avec leurs associations ont repris l’idée de journées culturelles. Mais aujourd’hui les journées culturelles n’ont de culturel qu’au niveau de deux aspects. Il faut aller  au football et la culture c’est le bal généralement. Même les danses se font de façon désorganisée qu’on ne sait même pas ce qu’on veut montrer comme facettes des villages concernés.   Que proposez-vous concrètement ?   Pour moi cela devait pouvoir se faire par thématique. Par exemple pour le cas du Kankourang les milieux concernés posent cette problématique en organisant des journées culturelles. Le Kankourang doit-il survivre ? Si c’est le cas qu’est ce qu’il faut pour qu’il survive parce qu’il y a plus aujourd’hui un village homogène mandingue, balante, diola, bainunk, etc. Dans tous les villages vous trouvez des diolas, mancagnes, balantes, ouolofs, des sérères, des européens, etc. Est-ce que tous savent, dans de pareilles situations, ce que signifie le Kankourang ? Quels comportements doivent-ils avoir vis-à-vis du Kankourang dans les périodes de son apparition ? Je dis qu’il y a des problèmes et c’est qui explique les difficultés qu’il y a eu à entre le Kankourang et les enseignants dans les Kalounayes et qui a entrainé la fermeture du Lycée pendant un certain temps. Tout cela on peut le gérer autrement en s’asseyant autour d’une table. Mais lorsque les gens n’acceptent pas de discuter et que ceux qui sont élus ne prennent pas souvent leur responsabilité pour appeler les populations en leur disant, écoutez hier ceci était possible mais aujourd’hui ce n’est plus le cas, cela va être difficile. Et ce rubicond à franchir c’est là difficulté ; car on ne sait pas la limite à ne pas franchir et qui doit poser le problème. En attendant chacun se débine à dire que c’est la tradition, c’est la tradition. Mais celle-ci a des limites. Notre culture qu’elle soit celle du Kankourang, du bukut, du kagnalène, du jambandong, de la danse du bougueur ou du balafon doit tenir compte des réalités de l’heure. Savoir à quel moment organiser les activités culturelles, où les organiser, commet les organiser et pourquoi les organiser. Et cela nécessite de l’expertise et ces expertises vont réfléchir, faire des propositions et qu’il y ait une structure faitière qui organise tout ça. C’est ce qui explique d’ailleurs l’organisation des carnavals dans les pays avancés. Ils ont des souvenirs de leur culture et ils décident d’organiser annuellement en choisissant une date pour un carnaval ; et ce carnaval là est reconnu, l’Etat accompagne ; et une fois le carnaval terminé chacun retourne à ses activités. Cela peut-être une voie. Le Kankourang doit pouvoir sortir dans la ville. Mais ce sera différent du Kankourang en zone rurale qui sort dans les périodes d’initiation des jeunes. On fait les initiations dans le cadre défini par nos ancêtres et le Kankourang se limite à ça. Mais le Kankourang qui vient dans la ville pour ameuter tout le monde, on peut l’accepter que lors d’un carnaval ; et à ce moment tout le monde accepte que ce soit un carnaval et on ne tient pas compte de l’initié et du non initié, on vient voir. Et ce Kankourang dès lors ne devrait pas se comporter comme celui qui protége les initiés. Le débat il est là et cette culture bien vendue, par le biais du carnaval communal soit départemental ou régional, dès qu’il est bien lancé pendant une année sera un levier pour faire revivre le tourisme en Casamance ; et qui parle de tourisme parle également de développement intégral. Parce que les hôteliers vont en tirer profit, les couturiers, les transporteurs, les cuisiniers, restaurants, artisans et les artistes eux-mêmes vont en tirer profit en signant des contrats avec des opérateurs qui viennent et qui se rendent compte qu’il y a une richesse incommensurable et qui, si elle est exportée peut rapporter beaucoup.                                            

Auteur: Propos recueillis par Tapha I. BADJI
Date de publication: 2019-10-20 00:03:07
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