Scoopsdeziguinchor.com : La région naturelle de la Casamance est riche d’une certaine tradition d’organisation de manifestations culturelles le plus souvent organisées autour d’une culture ethnique. Preuve en a été donnée avec la communauté Bayotte, localisée au niveau de sept (07) villages de la commune de Nyassia et qui a lancé le 16aout dernier ses activités d’initiation communément appelée Bukut en langue diola et Cambathiou en langue bayotte. Une manifestation qui remonte depuis la nuit des temps, empreinte de rituels, d’épreuves initiatiques, etc ; des actes culturels et cultuels vivants et vivifiants, reflets d’une croyance et qui constituent une part importante et fondamentale de la vie personnelle de tout initié, mais qui sont aussi une composante dominante et sensible de la vie sociale
Fini la hantise de la tuerie de Bofa-bayotte avec son lot de 14 morts ; fini la vie d’errance de populations du peuple Bayotte contraintes, au plus fort de la crise, de quitter leurs villages du fait de l’insécurité ; fini la psychose née de la pandémie et qui avait l’année dernière obligé les Bayottes à différer d’un an l’organisation de leur cérémonie d’initiation. La Communauté bayotte, dont la zone traditionnelle se situe précisément à la commune de Nyassia, département de Ziguinchor revit ! Une renaissance, un nouvel essor matérialisé par le démarrage le lundi 16 aout 2021 des activités de la cérémonie d’initiation communément appelée Bukut (cambathiou, en langue Bayotte) et dont la dernière édition organisée par le peuple bayotte remonte à l’année 1976.
Une cérémonie d’initiation longtemps différée du fait de la crise casamançaise
C’est dire donc que c’est 45 ans après leur dernière cérémonie initiatique, que le peuple bayotte organise à nouveau son Bukut. Une particularité voire une situation liée au conflit armé et qui s’explique en outre par les nombreux soubresauts qui ont émaillé la zone de Nyassia au plus fort de la crise casamançaise. « Le peuple bayotte a été secoué par la crise casamançaise ; hormis Nyassia et Etomé tous les autres villages de la communauté bayotte tels Kazoulou, Kadiéné, Baséré, engagés pour le présent Bukut, ont été déguerpis du fait de l’insécurité » justifie Hubert Sagna. Cet habitant de Kazoulou pour qui c’est à la faveur de la paix que le peuple bayotte s’est a nouveau engagé dans l’organisation de cette cérémonie d’initiation 45 ans après. Même son de cloche chez le chef de village d’Etomé Lucien Sagna qui explique cette longue période d’inactivité initiatique et de non-organisation de leur Bukut par le fait que le village (Baséré) qui abrite le plus grand rituel du peuple bayotte était un village déplacé. « Il a fallu que les populations de ce village soient retournées pour que le peuple bayotte organise son Bukut » argue-t-il. C’est dire que les déplacements des populations du fait de la crise ont longtemps stoppé dans la commune de Nyassia la dynamique associative et communautaire qui est une des bases de la vitalité d’une communauté, d’une société. Ainsi c’est seulement à la faveur des nombreuses opérations de sécurisation menées par les forces de défense et de sécurité dans la zone de Nyassia que des villages libérés à l’instar de Badem, Bagam soient heureux de célébrer leur Bukut ; et ce, dans l’espoir entre autres de retrouver, de l’avis d’Hubert Sagna, une paix définitive sous-tendue, selon lui, par une relance des activités économiques pour ces contrées aux potentialités agricoles, arboricoles énormes.
Un « Pass » initiatique pour l’intégration des jeunes initiés à la vie adulte
Le Bukut ! Cette cérémonie qui remonte depuis la nuit des temps constitue en pays diola une dimension essentielle de l’épanouissement des êtres humains, des individus, des sociétés, de leur identité et de leur projet collectif commun. Et c’est à travers une telle activité culturelle que les communautés font le choix de faire revivre intensément les valeurs culturelles léguées par leurs ancêtres. La zone de Nyassia un des sanctuaires des traditions culturelles et cultuelles diolas et terre de prédilection du peuple Bayotte n’a pas dérogé à la règle. Et c’est au niveau de cette commune que les valeurs culturelles, legs des ancêtres, sont présentement vécues et célébrées dans leur plus haute expression. Et ce, à travers les activités du Bukut lancées le lundi dernier au niveau de sept (07) de la commune éponyme. « Le Bukut a une importance capitale en Casamance et c’est vérifié à travers la présence de tous les fils du terroir et ce, quel que ce soit sa situation sociale et qui doivent tous se conformer aux mêmes rites » explique Lucien Sagna chef de village d’Etomé. Ainsi avec cet événement, tous les ressortissants des sept villages concernés, notamment les futurs initiés, quels que soient leur éloignement et leurs occupations, sont obligés de venir pendant quelques semaines pour participer aux différentes étapes et rites cérémoniaux du Bukut. Des rites ponctués par des rituels et manifestations privées organisées dans le village. « Les futurs initiés qui sont préparés à travers un rituel qui s’appliquent impérativement à tous les initiés tous rasés pour la circonstance. Et sans ce rituel qui prépare et protège les futurs candidats à l’initiation on ne peut pas être initié » souligne Lucien Sagna. Hubert Sagna initié en 1976 a rendu grâce à dieu pour lui avoir permis, 45 ans après, d’assister au Bukut de cette année où il a pu accompagner son fils dans les bois sacré. Son fils qui à l’instar de toutes les autres centaines et centaines futurs initiés du peuple Bayotte va, dit-il, se familiariser pendant quelques semaines avec les règles d’éthique et de déontologie de la société diola. « Tous les futurs initiés vont s’imprégner des « interdits » et des « permis » ; et vont inculquer en soi le culte du travail, de la solidarité, de partage, de défense du patrimoine et de la patrie diola, etc. » a laissé entendre Hubert Sagna ; et pour qui toutes ces valeurs humaines qui seront inculquées aux jeunes initiés vont leur permettre demain d’intégrer, grâce au « Pass » initiatique la vie adulte, de gérer et de sécuriser la société et le legs des ancêtres.
Une retraite de plus d’un mois dans les bois sacrés
Avec le Cambathiou, il s’agit pour le peuple Bayotte de renforcer son sentiment communautaire et pour les futurs initiés d’acquérir les enseignements nécessaires dans les bois sacrés pour leur consécration à la vie communautaire. Des futurs initiés qui se sont d’ailleurs singularisés lors de leur entrée dans les bois sacrés par leurs ports vestimentaires, le pagne noué autour du corps et coiffé sur la tête. Et pour la circonstance, ils étaient accompagnés dans leur périple initiatique par une foule nombreuse composée pour l’essentiel d’initiés aguerris, reconnaissables avec leurs déguisements, leurs masques, des perles autour du cou et munis d’accessoires évocateurs du passé ancestral tout en brandissant qui des couteaux, qui des armes et des lances et d’autres qui s’exerçant au maniement de fusils ou de canons traditionnels illustrant le principe masculin. Une manière pour eux également d’exalter, à travers des rites et des danses guerrières, l’instinct d’agressivité, de prouver leur bravoure et célébrer et magnifier ces valeurs et ces éléments culturels incrustés en eux par leurs parents. C’est ainsi toute la dimension des festivités du Bukut dont la durée en pays bayotte s’étend sur plusieurs semaines. « Les futurs initiés seront ainsi en retraite pendant 45 jours pour accomplir leur initiation. Dans le temps ils pouvaient restés dans leurs cases pendant trois mois ; mais avec le contexte qui est tout autre, la période d’initiation est aujourd’hui réduite » renseigne Lucien Sagna. Le chef de village d’Etomé pour qui tout dépendra toutefois des sages qui vont décider en dernier ressort, dit-il, de la sortie des initiés des bois sacrés.
Signe des temps….la pandémie du Covid-19 s’invite au Bukut
Et sur la particularité du Bukut de cette année 2021, le chef de village d’Etomé est d’avis que la pression était moindre lors des événements précédents, notamment le Bukut de 1976. Ce, contrairement à cette présente édition lancée le lundi dernier et caractérisée, selon Lucien Sagna, par la situation de la pandémie qui a, dit-il, accentué à leur niveau une forte pression. « C’est cette situation qui avait d’ailleurs contraint le peuple bayotte a différé d’un an l’organisation de cette cérémonie d’initiation prévue dans un premier temps en 2020. Et les mois derniers quand on a reparlé du Covid à nouveau tout le monde était stressé du fait d’un probable report du Bukut ». Dixit Lucien Sagna. Le chef de Village d’Etomé qui a, du coup, et pour l’occasion remercié les autorités administratives qui ont accepté l’organisation du Bukut et qui ont, soutient-il, tout diligenté pour la réussite de cet événement
L’activiste Guy Maruis Sagna, l’autre initié
Venu participer au Bukut de son village natal Etomé, commune de Nyassia,.Guy Maruis Sagna, en tant que futur initié et en mode bukut, a eu le temps de consacrer quelques minutes à la presse avant son entrée dans les bois sacrés. Justifiant d’abord sa présence parmi les siens, Guy Maruis Sagna estime qu’il s’agit pour lui de montrer l’importance qu’il a, en tant qu’africain, de célébrer nos origines, l’importance d’être enracinés dans nos valeurs, dans nos identités africaines, nos identités de sénégalais et particulièrement leur identité de Bayotte dans ce cas d’espèce. « Car en tant qu’africain, sénégalais, bayotte, personne ne valorisera à notre place notre culture, notre vision de la vie, notre manière de faire » justifie-t-il. Une cérémonie qui est donc, à ses yeux, une étape fondamentale pour tout Bayotte. « Ainsi après 1976, c’est en cette année 2021 qu’on a la chance de revivre cela ; et c’est une cérémonie importante, capitale pour nous, notre vie, et pour notre avenir » martèle l’activiste sénégalais. Lequel se dit très heureux de pouvoir participer à cela. « Et je crois que ce qu’on va nous inculquer pendant cette période va nous renforcer et nous permettre de mieux vivre en société et mieux apprécier ce qu’est le bayotte, le royaume bayotte, notre vision de la vie, notre philosophie » ajoute Guy Maruis Sagna. Et pour ce dernier sera une manière également de se connaitre et de mieux s’enraciner afin de proposer au Sénégal, au monde le bayotte, sa vision, sa philosophie. « Les chinois, les américains, les européens ont leurs valeurs et nous africains, nous bayotte, mandingue, sérères, etc avons aussi nos valeurs, notre culture ; et cette culture c’est à nous de la valoriser et de la pérenniser. Et il suffit juste d’être ancré fondamentalement dans ces valeurs là et d’éduquer aussi nos enfants dans ces valeurs là et de partager cela avec tout le Sénégal, l’Afrique et le monde entier » prône-t-il.
Magnifiant en outre ce contexte de paix favorable au déroulement des activités du Bukut, Guy Maruis Sagna a toutefois rappelé pour l’occasion que la paix n’est pas le silence des armes. « Car depuis quelques temps il y a le silence des armes ; mais après c’est de tout faire pour que ce qui a occasionné le crépitement des armes puisse être éradiqué ; à savoir les injustices, les spoliations foncières, le mépris de la culture diola et des casamançais en général » assène le natif d’Etomé. Suffisant pour ce dernier de lancer pour l’occasion un appel à tous les acteurs afin qu’ils contribuent à éradiquer, espère-t-il, tout ce qui nous a amené à cette situation de crise au niveau de la Casamance naturelle.