Santhiaba Manjacque/Forum : La commune martyre veut donner un cours nouveau à son destin

Scoopsdeziguinchor.com : Santhiaba Manjacque ! La seule évocation de cette commune située à proximité de la frontière Bissau-guinéenne renvoie aux pages sombres et dures réalités du conflit casamançais ; et ce, avec son lot de morts, de pillages, de mutilés et de populations déplacées. Une localité particulièrement touchée par la crise casamançaise et qui fait face à moult difficultés avec deux dénominateurs communs : l’insécurité et l’enclavement.  Aujourd’hui c’est à la faveur de la paix et de la stabilité en Casamance combinée aux dures réalités quotidiennes des populations retournées et déplacées que cette commune martyre a décidé de donner un cours nouveau à son destin. Une dynamique qui a pris les contours d’un forum de deux jours organisé à Oussouye et qui a permis aux natifs de Santhiaba Manjacque de disséquer sur les enjeux sécuritaires tout en sollicitant l’accompagnement de l’Etat par rapport aux programmes et politiques publics

Située à proximité de la base rebelle de Kassolole, fief de l’un des commandants en chef du maquis en l’occurrence César Atoute Badiate, la commune de Santhiaba Manjacque a été affectée par la crise à partir des années 1989. Une période où tous les villages de cette commune, jadis communauté rurale, furent à plusieurs reprises le théâtre de violents affrontements entre soldats sénégalais et combattants du MFDC. Et c’est suite à ces multiples affrontements que les populations de Santhiaba Manjacque vont, le 22 février 1995 à l’exception de celles du village d’Essaout, se déplacer massivement vers la Guinée-Bissau, la Gambie et les localités de l’intérieur du Sénégal pour fuir l’insécurité grandissante qui avait fini de gagner cette contrée. Du coup, Santhiaba Manjacque qui polarise 16 villages administratifs fut rayée ainsi de la carte. De nos jours encore, Santhiaba Manjacque demeure l’une des communes les plus affectées par le conflit casamançais ; et ce malgré le mouvement de retour amorcé depuis 2002 par les populations de localités après plusieurs années d’exil. Telles celles de Youtou village le plus peuplé de la commune, Effock, Kahem, Diakène Diola, Siganar, Essoukoudjack Sénégal, Djirack. Toutefois, les  populations qui sont hors de la commune sont encore assez importantes. De l’avis de l’édile de Santhiaba Manjacque Ousmane Djicoumene Diatta, 25 à 30% de ces populations sont toujours hors de la commune ne sont pas encore rentrées au bercail. C’est le cas, entre autres, de celles des localités complètement abandonnées d’Ering, Essoukaye, Bringo, Bouyème et Santhiaba Manjacque chef-lieu de la commune éponyme et dont le siège administratif est basé au niveau de la commune d’Oussouye. Ainsi pour Alimou Diallo président de l’Association des jeunes Agriculteurs et Éleveurs du département d’Oussouye (AJAEDO) et membre du comité d’initiative de ce forum, ce sont encore aujourd’hui plus de 100 familles qui sont toujours réfugiées au niveau de la seule Guinée-Bissau voisine; sans compter, dit-il, celles éparpillées en Gambie et à l’intérieur du Sénégal. Et pour ces populations encore hors de leurs localités d’origine, la dynamique de retour est plus que jamais assujettie aux questions de l’enclavement et de l’insécurité qui caractérisent la commune de Santhiaba Manjacque.

Santhiaba Manjacque : Une commune où tout est urgence

De par sa position le long de la frontière avec la Guinée Bissau, la commune de Santhiaba Manjacque est très enclavée ; seul le village d’Essaout est facilement accessible. La circulation des personnes et des biens demeure un réel problème dans la communauté rurale avec des pistes pour la plupart dans un état défectueux et qui deviennent impraticables en hivernage. Certaines sont même minées et abandonnées. Les bolongs demeurent donc les voies les plus utilisées pour accéder à certains villages comme Effock et Youtou. Et pour accéder au niveau de ces localités, deux voies (celle terrestre à travers la piste qui part du département d’Oussouye, en passant par Oukout, Emaye, le parc de Basse-Casamance et Effock ; et celle de la voie maritime à travers les bras de mer), s’offrent aux populations. Mais du fait des douloureux événements survenus dans la zone entre 1995 et 1997 et de la présence des mines, l’axe Oukout-Youtou a été depuis fermé à la circulation pour cause d’insécurité. Du coup, voyager en pirogue à travers les bolongs constitue la seule et unique alternative. Et pour ce faire, il faut se rendre en véhicule jusqu’au pont Nianbalang et se faire ensuite convoyer par des pirogues à moteur qui acheminent les passagers tout le long du trajet à raison d’une heure jusqu’à Youtou. Un exercice souvent fatal aux femmes qui éprouvent d’énormes difficultés; surtout au cours de leur évacuation vers les centres de maternité d’Oussouye au moment fatidique. « Certaines arrivent même à accoucher dans les pirogues»  lâche le maire de Santhiaba Manjacque. Ousmane Djicoumene Diatta. L’édile de Santhiaba Manjacque pour qui, malgré les efforts de l’Etat par rapport à l’éducation et à l’hydraulique, la priorité demeure la question de l’enclavement. « Sans des infrastructures routières, il sera difficile de développer cette commune et d’envisager la libre circulation des biens et des personnes » note-t-il. C’est dire que pour l’heure c’est également des centaines de tonnes de produits qui souffrent sur place faute d’évacuation du fait de l’enclavement total de cette commune. Ce qui, du coup, accentue la pauvreté et la vulnérabilité des populations locales. « Les femmes ici n’ont pas d’activités génératrices de revenus et pourtant Santhiaba Manjacque constitue le poumon économique du département avec une forte production de fruits » souligne Alimou Diallo. Et qui face à la situation de précarité des populations, sollicite l’accompagnement de l’ANRAC, du CRS voire de l’Etat pour le retour définitif des populations au bercail. « Les bourses familiales sont octroyées aux familles démunies et pourtant il y a des familles de réfugiés qui ont d’énormes difficultés pour joindre les deux bouts ; et il faudrait que l’Etat réfléchisse sur des stratégies pour pouvoir faire bénéficier de tels avantages à ces réfugiés qui sont dans le besoin et qui sont des nécessiteux ». Dixit le président de l’AJAEDO qui demande en outre l’érection d’un Lycée et des infrastructures socioéconomiques de base pour la commune de Santhiaba Manjacque.

Les populations veulent donner un cours nouveau à leur destin

Et c’est par rapport aux enjeux sécuritaires et de développement que les populations de la commune de Santhiaba Manjacque, sous l’égide du Comité d’initiative, se sont réunis les 5 et 6décembre 2020 à Oussouye siège administratif de la commune éponyme pour les besoins d’un Forum. Une rencontre ouverte par le président du Groupe de Réflexion pour la Paix en Casamance (GRPC) Robert Sagna et dont l’objectif, selon Alimou Diallo membre du Comité d’Initiative, est de développer des échanges pour une identification de la situation sécuritaire et d’identifier les stratégies et d’actions de résilience pour le retour des populations déplacées de la commune de Santhiaba Manjacque. Deux jours de travail qui ont permis aux participants de disséquer sur les trois thématiques développées ; à savoir la sécurité, le retour des réfugiés et des déplacés et le développement local ; et une rencontre d’échanges et de partage sanctionnée par un certain nombre de recommandations issues de ces travaux et inscrites dans une vision à l’horizon 2025. Et en guise de recommandations les populations souhaitent que l’Etat et le Mfdc puissent s’inscrire dans une dynamique de dialogue pour une paix définitive en Casamance ; préconisent un dialogue inter-communautaire entre les populations locales, celles déjà sur place et celles déplacées et en voie de retour ; invitent l’Etat à entamer un processus de déminage dans les villages pour une meilleure sécurité des populations qui veulent regagner leurs terroirs et pour leurs accès aux champs et aux vergers ; invitent à appuyer la reconstruction des infrastructures socioéconomiques de base ; à appuyer le retour des populations déplacées en leur donnant un appui consistant pour la construction de leurs maisons ; et à relancer les activités économiques et sociales dans la commune de Santhiaba Manjacque. Au nom des populations de Santhiaba Manjacque, Alimou Diallo, président de l’AJAEDO et Ousmane Djicoumene Diatta maire de la commune de la commune se disent heureux que leur commune ait réussi à organiser ce forum pour réfléchir sur la question sécuritaire et les stratégies à adopter pour permettre à l’ensemble des populations qui sont aujourd’hui hors du périmètre communal de rentrer au bercail. Tous demandent ainsi à l’Etat d’engager un dialogue avec le Mfdc pour un retour définitif de la paix non seulement au niveau de la commune de Santhiaba Manjacque mais sur l’ensemble de la région de la Casamance naturelle. « Car il n’est pas facile d’administrer ses mandants à distance voire sur plusieurs km de leurs lieux d’attache. On souhaiterait être à leur coté, les administrer sur place plutôt que de le faire à partir d’une autre commune » plaide le maire de Santhiaba Manjacque. .

Laisser un commentaire

Retour en haut
Retour haut de page