Les autorités françaises et sénégalaises semblent être plus rassurées quant à la sécurité physique de Diary Sow, la jeune étudiante sénégalaise en classes préparatoires au lycée français Louis-Le-Grand. En effet, la piste criminelle est de plus en plus écartée dans cette affaire «d’absence inquiétante» de l’étudiante sénégalaise, qui n’a plus donné de ses nouvelles depuis le 4 janvier dernier. Si la thèse d’une absence volontaire venait à être confirmée, seule Diary Sow pourrait alors choisir de réapparaître, de son plein gré, car la loi française n’autorise plus (depuis 2013) de révéler le lieu de cachette d’une personne majeure, qui décide de ne plus donner de ses nouvelles à ses proches, si elle ne rentre pas dans la catégorie des personnes majeures protégées.
Ne faudrait-il pas aider Diary Sow à réapparaître ?
Bien sûr que si ! L’absence de Diary Sow est sur-médiatisée partout à travers le monde. Des initiatives spontanées ont été lancées, ça et là, pour chercher sa trace et une enquête policière a été diligentée en France. Tout ce charivari fera qu’il sera encore plus difficile pour Diary Sow de retrouver sa résidence universitaire, comme si de rien n’était. Son retour est espéré et guetté. Comment pourra-t-elle expliquer son «absence» ? On peut considérer que Diary Sow se retrouve, par la force des choses, dans un engrenage d’où il faudrait la sortir. Pourtant, son histoire pourrait se révéler banale si jamais on se pose certaines bonnes questions.
Vraisemblablement, Diary Sow n’a pas fui pour une raison qui entacherait sa réputation de bonne fille ou pour se sauver d’un mariage forcé. Il est possible qu’elle ait tout simplement flippé comme cela arrive à beaucoup de jeunes de son âge, en proie à des doutes, des incertitudes, des angoisses, à la peur d’échouer, à la phobie de décevoir son monde. On a beaucoup trop demandé à cette pauvre fille. Elève «brillantissime», meilleure élève du Sénégal deux années de suite (2018-2019), et admise au Baccalauréat avec la meilleure mention. Elle était devenue (à son corps défendant ?) la mascotte de son pays. Sa vie devenait une success story. Diary Sow était comme programmée pour être la meilleure partout et dans tous les domaines de la vie. Elle devait être la première, la pieuse, la plus polie, la sagesse incarnée. Elle était en quelque sorte conditionnée par les grosses attentes de sa famille, de ses proches et de celles des plus hautes autorités de son pays. On a utilisé l’image de Diary Sow pour redorer le blason de l’école publique sénégalaise qui, faudrait-il le rappeler, continue de perdre de sa superbe. Diary Sow était l’illustration parfaite, sublimée d’un certain renouveau de l’école publique qui ne produisait plus depuis quelques années les meilleurs élèves du Sénégal. Diary Sow était aussi un symbole, un bel exemple pour la campagne de sensibilisation pour l’inscription à l’école des filles, dans une société qui continuait de confiner les jeunes filles aux tâches ménagères. On a sans doute privilégié son orientation vers les filières scientifiques pour satisfaire une politique publique d’encouragement de l’enseignement des matières scientifiques et de surcroît pour les filles. Des prix «Miss maths» ont été distribués çà et là. Diary Sow était aussi l’exemple parlant de la nécessité de garder les filles à l’école, quand la plupart d’entre elles n’arrivent pas à terminer le collège, parce que rattrapées par le mariage précoce ou les mutilations génitales. Diary Sow est issue d’un milieu social où la tradition, les us et coutumes permettent encore de marier les filles dès le plus jeune âge. Diary Sow, par les études, pouvait espérer échapper à sa condition de fille issue d’un milieu social défavorisé. Elle sortait sous les traits et atours d’un ange. Chaque parent aimerait avoir une fille comme Diary Sow. La jeune Diary Sow pouvait déjà se voir dans les étagères des armoiries de la République. L’échec était impossible, interdit à une telle fille prodige.
Il apparaît ainsi que tout le monde a voulu profiter de l’image de Diary Sow. Sa famille, qui avait de légitimes motifs de fierté, ne l’a pas soustraite des lumières pour la protéger. Bien au contraire. Elle s’est complue à laisser exposer sa fille, à lui trouver des «tuteurs» haut placés, dont on ne saurait nullement douter de la générosité et de la bonne foi. Diary Sow arpentait les marches des palais de la République pour présenter son premier roman. Pour apparaître devant les médias, elle était assez fashion : toujours apprêtée, plus comme une diva, qu’une jeune fille de son âge ou une étudiante en classes préparatoires. La fille a fini par se plaire à ce jeu. N’a-t-elle pas été ainsi gagnée par un petit brin de narcissisme ? Elle était sur tous les plateaux de télévision. Elle s’est mise dans la peau d’une leader précoce et titillait déjà des ambitions pour changer son pays, peut-être même le cours de l’Histoire. Tout cela a pu griser une jeune personne, propulsée aussi rapidement au-devant de la scène. En France, Diary Sow trouvait du temps pour allier ses cours à une carrière de romancière et s’activait dans des associations d’étudiants. Elle honorait moult invitations et trouvait du temps pour visiter la belle France, comme c’était encore le cas, il y a quelques semaines, quand elle était allée passer les fêtes de fin d’année avec une amie à Toulouse, bien loin de sa résidence Lourcine à Paris.
Diary Sow n’a-t-elle pas délibérément évité de passer ses examens ?
La réalité des études aux très élitistes classes préparatoires du lycée Louis-Le-Grand n’autorise pas autant de libertés pour ne pas dire de dilettantisme. Les anciens étudiants des classes préparatoires des grandes écoles françaises renseignent que le rythme et les contraintes constituent un véritable rouleau compresseur. Il ne devrait y avoir de la place pour une autre activité, que de se consacrer exclusivement aux études. Nombre d’entre ces anciens étudiants y ont vécu un «burn out», une sorte de syndrome d’épuisement dans cet enfer pour étudiants. C’est dire que la frénésie des activités extra-scolaires de Diary Sow a pu négativement peser sur les résultats de ses évaluations académiques, notamment pour certaines matières principales. Est-ce le fait d’une orientation inappropriée ? Toujours est-il que Diary Sow avait de bonnes raisons de redouter la perspective de devoir passer ses examens. N’a-t-elle pas été rattrapée par la réalité de la perspective de ses examens, une fois qu’elle est rentrée de son escapade de Toulouse ? A quelques semaines des examens, les étudiants studieux n’ont pas pour habitude de faire des voyages d’agrément et de loisir, ils révisent leurs cours. La journée du 4 janvier 2021, Diary Sow a «badgé» à son école et avait entamé, sans les terminer, les formalités de dépôt de sa candidature pour les examens ; des formalités qui étaient ouvertes jusqu’au 12 janvier 2021. Aujourd’hui, elle se trouve forclose pour les examens.
Seule dans sa chambre d’étudiante, face à un insupportable fatal échec aux examens, Diary Sow a pu se mettre dans la peau de l’héroïne de son premier roman, Sous le visage d’ange, et alors se décida à faire comme Allyn, c’est-à-dire fuguer et en France (!) où elle sera «seule, étrangère, pauvre, vulnérable dans un pays inconnu : (…) elle mènerait cette vie aussi longtemps qu’il le faudrait. On l’avait prévenue contre les risques, mais elle sait se battre. Elle ferait appel à toute sa fermeté» (Diary Sow L’Harmattan). La forte actualité en France, avec la disparition mystérieuse de la dame Delphine Jubilar (une dame qui a quitté son domicile conjugal du Tarn, depuis plus d’un mois, sans donner de ses nouvelles) a peut-être aussi donné des idées à Diary Sow.
La fugue, le moindre mal pour Diary Sow
Qui parmi nous n’a jamais menti sur ses notes à l’école ou ne les a cachées pour s’épargner la honte, l’opprobre ou des réprimandes ? Pour parfaite que pouvait être Diary Sow, on avait oublié qu’elle restait une enfant qui n’avait pas beaucoup voyagé, qui n’était jamais sorti du cocon familial pour vivre seule. Diary Sow se révèle comme une victime de notre soif collective de belles histoires, de notre soif de modèles à exhiber à la face du monde, de notre soif de vedettes. Elle a pu aussi être victime de la cupidité des siens, qui voyaient en elle un produit fini alors qu’elle était au stade du façonnage. Placés devant d’aussi énormes pressions sociales et psychologiques, de nombreux étudiants ont pu commettre des actes désespérés, des actes de folie. Un ancien étudiant sénégalais à Louis-Le-Grand avait par exemple choisi de provoquer gravement ses professeurs, pour ne pas passer ses examens qu’il redoutait. Il ne trouvait rien de mieux à faire que de balancer un projectile à son professeur d’une de ses matières principales. En ces périodes d’examens, du fait de l’anxiété, de l’épuisement, des insomnies, on redoute souvent le spectre d’une vague de suicides dans les «facs». Dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 janvier 2021, un étudiant en droit de l’Université Jean-Moulin de Lyon s’est défenestré du 4e étage de sa résidence. Mardi 12 janvier 2021, vers 18 heures, les pompiers sont appelés par des témoins, car une jeune femme est au bord de sa fenêtre au 5e étage de la résidence universitaire Allix à Lyon, dans le 5e arrondissement. Quelques semaines auparavant, le 7 décembre 2020, un autre drame s’est joué sur le campus de la Doua. Au sein d’une résidence universitaire de Villeurbanne, un étudiant s’est lui aussi donné la mort. Sans forcément aller jusqu’au suicide, la fragilité psychologique comme le stress, la déprime, le sentiment d’isolement sont autant de symptômes inquiétants qui, dans les cas les plus graves, peuvent entraîner des idées noires, voire le passage à l’acte.
Dans une étude sur la santé des étudiants, publiée en juillet 2014, l’Observatoire de la vie étudiante en France révèle les malaises ou fragilités psychologiques qui peuvent être ressentis par les étudiants, notamment chez les 23-25 ans. «C’est à partir de cet âge où on ne commence plus à bénéficier de l’effet protecteur de la famille et pas encore de l’effet vie professionnelle visible chez les plus de 25 ans», note Feres Belghith, l’un des auteurs de l’étude. Si les filles sont en général plus touchées que les garçons, la filière des études dans laquelle on se trouve joue énormément. Ainsi, les classes prépas, à cause de la surcharge de travail, les écoles de la culture (architecture par exemple), ou encore les étudiants en médecine, en psycho et en sociologie semblent plus impactés. «Plus le temps de travail est élevé, plus les indicateurs de fragilité psychologique augmentent.» Dans un pays comme le Japon, on observe les plus forts taux de suicide en milieu scolaire et universitaire. Au Japon, réussir coûte que coûte sa scolarité est un objectif ancré très tôt dans la tête des enfants. Pour intégrer une université prestigieuse, garantie de trouver un bon emploi (donc une stabilité économique et l’accès à une famille), il faut passer des examens d’entrée particulièrement difficiles. Avec un rythme de travail intensif auquel s’ajoute la pression psychosociale de leurs parents, la souffrance vécue à l’école est telle que certains préfèrent mettre fin à leurs jours plutôt que d’y retourner, pris dans un engrenage tel qu’ils sont incapables d’imaginer qu’un autre choix est possible. Un recours au suicide qui s’inscrit dans les codes culturels du Japon, où cet acte historiquement valorisé pour racheter son honneur (en particulier chez les Samouraïs) est un moyen de s’excuser (vis-à-vis de la famille et de la société), de porter pleinement ses responsabilités. Que Diary rentre, on aura déjà tout oublié et elle pourra se réorienter au besoin, pour suivre d’autres filières dans lesquelles elle excellerait à coup sûr !
Source : lequotidien.sn