«Si vous estimez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance.» Ainsi parlait Abraham Lincoln. Le Sénégal, après avoir choisi l’éducation, ce qui fait de la ressource humaine notre avantage comparatif, a décidé d’essayer l’ignorance.
Ce choix est devenu une lame de fond que l’affaire Diary Sow confirme. Le Sénégal et le lycée Louis-Le-Grand, c’est de Senghor à Diary Sow. Comment des universitaires et des enseignants peuvent-ils utiliser un cas singulier (Diary Sow) pour demander qu’on jette le bébé avec l’eau du bain ? Comment peut-on partir d’un cas particulier qui n’a malheureusement pas marché pour sombrer dans la généralisation abusive en invoquant un nationalisme universitaire anachronique et ridicule dans un monde interconnecté et mondialisé ? Aujourd’hui, le monde du savoir est devenu ce que Senghor appelait la civilisation de l’universel. Nos meilleurs étudiants doivent aller dans les meilleures universités du monde et refuser le confinement académique que prônent certains intellectuels populistes. Quand Felwine Sarr (dont le seul défaut est d’être Sérère) va hisser très haut les couleurs du Sénégal dans la compétition académique mondiale, en déconfinant la pensée, on lui fait un procès académique en oubliant que l’Ugb reste son port d’attache académique.
La qualité des ressources humaines a toujours été l’avantage comparatif du Sénégal et est le socle de l’exception sénégalaise, où le débat politique a été pendant très longtemps débat d’universitaires (Lamine Guèye, Senghor, Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Abdoulaye Bathily, Assane Seck…) Aujourd’hui, qui ne se réjouit de la qualité des débats auxquels invitent le centralien Mamadou Lamine Diallo, de voir Tidiane Dème, pendant longtemps à la tête de Google Afrique, ou Kéba Keinde diriger l’une des plus grandes banques de Dubaï, en plus d’avoir eu Amadou Makhtar Mbow à la tête de l’Unesco ou Jacques Diouf à la Fao ? Dans un pays avec une telle histoire, le discours anti-élite et le populisme intellectuel ambiant ne sont rien d’autre qu’une invitation au sabordage.
Si le Sénégal, après avoir choisi l’éducation, (qui rapporte plus qu’elle ne coûte), «essaie l’ignorance» en cédant à la pression du populisme intellectuel et un communisme universitaire, il scie la branche sur laquelle il est assis. Le discours du nationalisme universitaire est non seulement anachronique, mais n’a aucun sens dans la mondialisation. Même si on avait les meilleures prépas, cela ne devrait pas nous empêcher d’envoyer nos étudiants à la conquête du savoir, à la conquête du monde.
Les Etats-Unis, qui ont pourtant de très grandes universités de référence, envoient leurs étudiants à l’étranger. Aussi bien dans ma promo à Sciences Po qu’à l’Ena, il y avait des Américains et des Allemands (le plus grand pays de la pensée après la Grèce). Un pays se développe avec des élites et des idées, mais aussi avec l’enracinement et surtout l’ouverture, comme le prouve l’exemple du Japon. La nature ayant horreur du vide, avec le populisme anti-élite ambiant, nos meilleures élites se sont confinées et ont peur de prendre la parole, et ont ainsi laissé la place à des ignorants avec de l’autorité, qui monopolisent le débat public où le refus de la lumière est devenu la loi. C’est pourquoi la Joconde vit une si grande solitude au Musée des civilisations, dans le pays de Senghor.