Mr Badji c’est le 21 septembre qu’est célébrée la journée internationale de la paix instaurée par les Nations-Unies ; un événement qui nous concerne et ce compte tenu de la particularité de cette région qui vit un conflit qui dure près de 40 ans. Pouvez-vous nous faire d’abord l’état des lieux du processus de paix en cours ?
A mon humble avis j’ai un grand espoir par rapport à l’état du processus de paix. Espoir parce que nous avons eu la chance d’échapper aujourd’hui à la violence armée. Le Mfdc, aile militaire et politique confondues et l’Etat du Sénégal se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient plaider pour la cause des populations et à chaque fois poser des actes sur le terrain qui font souffrir ces mêmes populations pour qui ils sont sensés défendre les intérêts. J’ai donc espoir car il y a cette prise de conscience chez les deux parties par rapport à cette situation. J’ai également beaucoup espoir du fait de la nouvelle démarche mise en branle dans le cadre du processus de paix et qui se veut participative et inclusive avec l’implication de plusieurs acteurs.
Mr Badji il y a certes une floraison d’acteurs impliqués dans ce processus de paix ; mais est-ce qu’il y a une synergie de tous ces acteurs à même de permettre à la Casamance de faire un bond en avant par rapport à cette paix tant recherchée ?
Oui il y a une possibilité de synergie et les gens y travaillent. Vous savez la crise a duré presque 38 ans, et cette durée dans le temps fait qu’il n’est pas facile de mettre ensemble des visions, pas facile de mettre ensemble des stratégies. Mais malgré tout nous sommes entrain de travailler avec tout le monde et nous osons espérer que tous seront mobilisés autour de la question de la paix. Et pour cause ! J’ai tantôt parlé de la nouvelle démarche ; car nous avons pensé que le Mfdc depuis l’avènement du conflit armé en 1982 a connu à un moment donné une violence extrême à tel point que certains membres même de ce mouvement ont pensé que cela ne valait pas la peine de poursuivre le combat. Aujourd’hui que nous avions travaillé avec les différentes ailes combattantes jusqu’à ce qu’elles acceptent le principe d’aller négocier, nous pensons donc qu’il y a des raisons d’avoir tout le monde autour de la table des négociations. Et c’est aussi fort de cela que nous pensons qu’il fallait organiser une assemblée de retrouvailles qui permettraient d’avoir pour le Mfdc, la même vision, le même entendement et de travailler dans le même sens autour de ce mouvement avant de faire face avec l’Etat du Sénégal. Et nous avons dit que si cette assemblée générale est convoquée, et nous avons une idée de la date, cela nous permettrait de dire aux membres du Mfdc, aux dirigeants dudit mouvement toute la pertinence d’aller à la table des négociations.
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Et par rapport à la multiplicité des acteurs, nous avons dit qu’au sortir de cette assemblée générale de retrouvaille de pouvoir inviter tous les cadres casamançais ou tous ceux qui peuvent apporter leur contribution, leur expertise par rapport à cette dynamique déjà enclenchée. Et si le Mfdc s’accorde à aller à des négociations il serait important de prendre langue avec tous ces cadres là afin de leur expliquer, leur communiquer et partager sa démarche, ses exigences et travailler ensemble avec eux. Et l’intérêt de cela c’est de combler cette carence de ressources humaines dont est confronté le Mfdc au niveau local. Tout cela pourra aider à la confection de certaines thématiques et ce sera non seulement une bonne chose mais cela va aussi régler cette multiplicité des acteurs ; car chacun s’y retrouvera.
Aller à la table des négociations c’est bien, mais comment comptez-vous négocier au juste Mr Badji ?
Et si nous devons aller à la table des négociations, savoir que négocier est un concept et tout le monde ne comprend pas souvent ce qu’est la négociation. D’où l’idée de commettre lors de cette assemblée de retrouvailles, un expert qui va partager avec les participants sur les concepts et les comportements à tenir dans le cadre d’une négociation. Car nous avons une certaine certitude que celui qui veut négocier ne saurait avoir la même posture que celui qui veut combattre. Donc si on accepte le principe d’aller négocier il est clair que nous devons donc travailler dans ce cadre là.
A la lumière de vos propos il est indéniable que la volonté du Mfdc d’aller à la table des négociations est manifeste ; peut-on en dire selon vous de l’Etat du Sénégal ?
Comme je l’ai dit tantôt la crise a longtemps duré, avec l’Etat du Sénégal et le Mfdc qui constituent les deux belligérants. Seulement la communauté internationale, les partenaires au développement doivent tous apporter leur pierre à l’édification de la paix en Casamance. Et pour répondre à votre question nous avons toujours entendu l’Etat du Sénégal par le canal du président de la république dire que je répondrai au Mfdc partout où le besoin se fera sentir. Nous pouvons donc dire que l’Etat de sa par sa plus forte personnalité est disposé à aller à la table des négociations.
Acteur de l’ombre au début de la crise vous êtes aujourd’hui actif sur le terrain dans le cadre de la recherche de la paix en Casamance. Ainsi compte tenu de toutes vos expériences, qu’est ce qui, selon vous, pourrait saper cette dynamique d’aller vers une paix définitive et vers la table des négociations ?
Je pense à mon humble avis que cela pourrait être lié à un problème de communication. Si au sein du Mfdc on règle le problème de la communication j’ai grand espoir que nous allons contourner tous les écueils. Parce qu’effectivement le problème de communication est un goulot d’étranglement au sein de ce mouvement où on a souvent l’impression qu’il s’y pose un problème d’écoute, voire de capacitation. Je crois qu’on ne saurait gérer un dossier aussi compliqué qu’est le problème casamançais sans avoir la formation requise pour pouvoir le mener à bien. Voilà pourquoi nous pensons qu’il est extrêmement important que plus qu’on avance, plus les gens puissent travailler pour qu’il y ait plus de ressources humaines pour ne pas dévier de cette ligne déjà tracée, de ce processus déjà enclenché.
Mr Badji nous parlons bel et bien du Mfdc certes ; mais on sait qu’au sein de ce mouvement il y a plusieurs factions qui ne s’entendent souvent que sur leurs divisions. Il y a par exemple le cas Salif Sadio qui semble joué en solo dans le cadre de ce processus de paix ! Que vous inspire sa démarche ?
Moi je ne pense pas que Salif Sadio est un cas. Et vous savez pourquoi ? Pour moi Salif est déjà à la table des négociations ; et le cas c’est donc plutôt ceux qui ne sont pas encore à la table des négociations. Et il faut d’abord amener tout le monde à la table des négociations. Ce qui nous permettra à ce moment là de savoir si tout le monde dit la même chose et s’il y a possibilité de jonctions entre les factions. Et si tel n’est pas le cas, il est clair qu’il sera difficile de concilier les positions. Mais encore une fois je dis que tout un chacun doit respecter l’autre par rapport à sa vision. Il faut du respect pour Salif et pour tout ce qu’il entreprend. L’idéal est que tout le monde travaille dans le bon sens pour arriver à la jonction et à la synergie de toutes les forces.
A vous entendre Salif Sadio ne constitue donc point un obstacle ?
Et pour revenir toujours sur Salif Sadio, personnellement j’ai eu à travailler avec lui à travers des personnes interposées. Et j’ai beaucoup apprécié qu’il ait accepté de discuter avec l’Etat du Sénégal, et ils sont même arrivés à la table des négociations. Et comme il a pris sur lui la décision de déclarer un cessez le feu unilatéral, il reste maintenant à formaliser le cessez le feu. Et là aussi il faut qu’on y travaille ; car tant que le cessez le feu n’est pas formalisé il est clair qu’à tout moment un belligérant peut avoir la possibilité de saper la dynamique pour que les choses reviennent à la case départ.
Quid du rôle et de la place la diaspora casamançaise sympathisants du Mfdc dans le cadre de futures négociations ?
J’ai parlé tantôt d’une rencontre avec les cadres casamançais qui permettrait à tous d’avoir une vision commune. Et au sortir de cette rencontre nous allons pouvoir rencontrer tous les programmes et projets en Casamance ainsi que les ONG. Car nous ne voudrions pas au niveau de la table de négociations que l’Etat dise j’ai fait çà, réalisé çà en Casamance et que nous ne soyons pas en mesure d’attester ou d’infirmer cela. Il y a en outre presque près de 300 ONG qui veulent la paix en Casamance et il serait donc normal que nous discutions avec elles pour savoir ce qu’elles attendent de nous pour que cette paix tant recherchée puisse aboutir. Dans le même schéma nous proposons également de rencontrer les artistes qui se battent pour la paix et qui ont certainement des inspirations que nous ne maitrisons pas. Les élus locaux sont également dans notre ligne de mire. D’ailleurs j’ai toujours dit que la Casamance n’appartient pas au Mfdc et donc le Mfdc ne doit pas esquiver aucun casamançais dans le cadre de la présentation de sa vision. Et ce, afin de permettre à chacun d’avoir une certaine lisibilité de ses motivations et d’apprécier librement à sa manière. D’ailleurs avec le cessez le feu déclaré unilatéralement par Salif Sadio et l’autre cessez le feu brandi par le front nord il reste à travailler sur les thématiques avec tout ce beau monde. Car en travaillant sur les thématiques des cessez le feu cela va permettre de faire un pas de plus du coté du Mfdc, et à l’Etat également de jauger de la situation du coté Mfdc et d’avancer, du coup, dans le processus de paix. Et tout cela sera également valider au niveau des départements et des différentes régions pour que ce soit l’affaire de toute la Casamance. Et ce qui sera retenu au niveau de la région sera ensuite présenté au niveau de la diaspora avec qui nous avons en partage la Casamance. Nous ne devons pas prendre des décisions qu’eux de la diaspora ne maitrisent pas et vice versa. C’est dire que de chaque coté on appréciera et validera ensemble. Et c’est après seulement que sera mis sur pied un comité scientifique qui doit travailler sur les TDR dans le cadre des futures négociations ainsi que sur les choix des représentants du Mfdc et de personnes ressources pour ces futures rencontres avec l’Etat du Sénégal.
Vous semblez donc prôner une démarche inclusive et participative pour aboutir à ces négociations ?
Personne ne sera exclu dans ce processus. Mais seulement tous ceux qui veulent avoir des responsabilités au sein du Mfdc moi je les exhorte à travailler dans le cadre de l’unité, des retrouvailles. Et si les gens ne peuvent s’unir à 100% qu’ils se retrouvent au moins pour faire de grande chose. Car nous avons en commun la même chose, nous pensons la même chose mais on ne se retrouve pas. Le combat maintenant c’est de se retrouver, de s’écouter mutuellement et de s’exprimer d’une manière franche. Et encore une fois je suis très optimiste par rapport à cette feuille de route.
Auteur: Propos recueillis par Tapha I. BADJI
Date de publication: 2020-09-24 01:31:03
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