Doudou, les points sur les «K»

Scoopsdeziguinchor.com : Chaque carrière politique a son moment cruel. La déroute de son camp ajoutée à la défaite du candidat et ancien maire de Ziguinchor qu’il a soutenu aux dernières élections locales, ont brutalement ramené Doudou Kâ à la dure réalité de l’engagement politique. Si la prévisible déflagration Sonko à Ziguinchor a atteint la mouvance présidentielle, l’onde de choc n’en a pas pour autant fait vaciller les fondations. Elle n’a pas non plus ébranlé celui dont il se susurre de plus en plus «qu’il a tout pour incarner la majorité présidentielle dans le Sud».
Parce que le pire dans une défaite c’est le jour d’après, beaucoup lui prédisaient le purgatoire politique au lendemain du 23 janvier. Mais si Doudou Kâ a tenu bon, il est surtout resté debout au milieu d’un échiquier politique complètement bouleversé, voire fracassé, avec comme tout premier chantier, la destruction du sentiment de défaite. Comme si la sanction électorale avait sonné l’heure de la reconquête.
Et l’homme y travaille. En sourdine, tout en peaufinant son silence. «Mon principal adversaire n’est pas politique, mais plutôt un état d’esprit qui a pour nom renoncement ou passivité» martèle-t-il. Du Doudou Kâ dans le texte comme dans la vie. Jamais dans la résignation. Toujours dans l’action et la réflexion. Son statut préférentiel.

                    De quoi cet homme est-il donc le nom ?

Avant tout, le symbole de l’excellence technocratique sénégalaise. Dire que l’actuel Directeur général de l’Aibd y était prédestiné n’a rien d’une outrance, tant son parcours est tout en superlatif. C’est en 1987 que le jeune homme de Boucotte intègre le collège Sacré-Cœur de Dakar, après être sorti premier de l’école primaire Ibou Camara de Ziguinchor. Il ne met pas beaucoup de temps à se faire remarquer. Si brillant et si discipliné, qu’il est dispensé de frais de scolarité à partir de la 4ème, mais à une condition : ne pas quitter le collège avant le baccalauréat. Il se plie à cette exigence. Après y avoir décroché son bac C, il quitte l’école Sacré-Cœur pour atterrir au lycée de Turgot, avant le prestigieux établissement Janson Desailly de Paris. Ses professeurs de maths sont sous le charme de ce brillant étudiant et lui conseillent d’approfondir ses connaissances en maitrise de mathématiques appliquées à l’université Paris 6. Ses notes sont stratosphériques. Avec un improbable 20/20 en calcul des éléments finis en examen de maitrise et un brillant 18/20 en probabilités, l’étudiant épate tout le corps professoral. Si brillant et si hors normes qu’il est coopté pour intégrer un autre creuset de l’élite française, la très prestigieuse Ecole nationale des ponts et chaussées de Paris, fondée il y a près de trois siècles.

                    L’inspirateur du «Yonu Yokuté»

L’histoire de cet homme tout droit sorti des hauts lieux de l’intelligence, tient en trois mots et une méthode : intelligence, audace et détermination. Trois signes particuliers qui ne figurent nulle part sur son Cv, mais qui vont propulser Doudou Kâ à l’épicentre de l’accession de Macky Sall au pouvoir. Nous sommes en 2011. Six petits mois nous séparent de l’élection présidentielle sénégalaise. Les préposés à l’élaboration du programme de Macky Sall peinent alors à ficeler leur projet. Le candidat s’impatiente, prend son téléphone et appelle à la rescousse, l’ingénieur des ponts devenu banquier d’affaires et dirigeant d’un Cabinet de conseil en stratégie et en intelligence économique à Paris.
Loin du vacarme politique et fuyant la lumière, le jeune «Pontiste» forme un commando restreint de brillants économistes et ingénieurs, où chacun excelle dans sa spécialité. Un groupe de choc taillé sur mesure pour peaufiner un projet économique à l’image de la vision de Macky Sall. Et voilà Doudou Kâ, propulsé à son corps défendant, au cœur de la stratégie de conquête du pouvoir de Macky Sall. Stratège de l’ombre que ses collègues appellent affectueusement «sorcier noir» et tête pensante du projet économique du primo-candidat, il est l’inspirateur du fameux «Yonu Yokuté», le slogan de la première campagne victorieuse du président de la République en 2012.
Depuis, le jeune prodige, fidèle des toutes premières heures, n’a jamais été très loin du Président. Car si les affaires publiques ont fait se croiser leurs destins, leur histoire dépasse la politique. Les liens entre ces deux-là sont avant tout, une histoire humaine. Doudou Kâ et Macky Sall, c’est une relation personnelle, singulière et particulière, faite d’affection, de loyauté et de confiance. Une proximité presque exceptionnelle dans les grandes comme dans les petites largeurs. La fidélité et le dévouement corps et âme du plus jeune à l’endroit de son aîné de 13 ans, ont largement structuré la trajectoire du premier qui n’est jamais, par la pensée, loin du Président.

                    Un missionnaire au service du Sénégal     

 A tout juste 47 ans, Doudou Kâ traîne déjà une carrière de vieil apparatchik. Ingénieur, financier, banquier, conseiller, homme politique et aujourd’hui patron d’une des plus grandes entreprises publiques de la sous-région. Avec son Cv vertigineux et une réputation de premier de la classe, tout dans son parcours plaide pour ce quadra réputé être un homme de dossier qui, partout où il passe, fait la démonstration de ses compétences.
A son actif, c’est lui qui crée le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip). Il en fut le premier Administrateur général, après l’avoir sur porté sur les fonts baptismaux à partir d’un «simple» décret. Moins de 10 ans plus tard, le Fongip fait partie des institutions financières de garantie de référence en Afrique de l’Ouest.
La Redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia), c’est encore lui. Alors qu’il est banquier d’affaires à la Bmce capital, c’est lui qui trouve la parade en créant la Rdia à travers un décret et non une loi. Parce que cette redevance était littéralement considérée comme un impôt en 2005, du fait que l’aéroport Aibd était juste à l’état de projet.
Le redémarrage de la ligne maritime entre Dakar et la capitale du Sud après le naufrage du bateau Le Joola, c’est encore lui. Avec la compagnie marocaine de navigation, il va mettre en place en 2006, en sa qualité de conseiller du gouvernement puis directeur financier, toutes les procédures opérationnelles.
Et plus récemment, il y a eu le sauvetage de la saison touristique 2022 du Cap Skirring. Malgré des délais qui confinent presque au miracle, le gouvernement sénégalais s’engage à reconnecter la Casamance à l’Europe par vol direct. Au bout de 75 jours d’une opération menée tambour battant, avec des moyens exceptionnels et un management quasi chirurgical et militaire, le pari de la rénovation et de la mise en exploitation de l’aéroport de Cap Skirring est tenu. L’atterrissage le 5 décembre 2021 du premier vol en provenance de Paris, marque la fin de deux ans d’absence de tout trafic international.
Au moment où le pays entier vit au rythme de rumeurs de remaniement, certains lui prêtent même des ambitions ministérielles, mais lui n’en a cure. Il est sur le pont, en mission pour l’intérêt supérieur du pays. Sa seule obsession de serviteur de l’Etat, continuer la mise en oeuvre de l’ambitieuse feuille de route de réforme du secteur aéronautique national que le Président lui a tracée. «J’ai assez à faire avec un projet aussi stratégique que le hub aérien et touristique horizon 2021- 2025, le programme à 100 milliards de reconstruction des aéroports nationaux (Pras) , la construction du centre de maintenance aéronautique, l’académie internationale des métiers de l’aviation civile, les réformes du secteur aéronautique, la digitalisation des procédures et la certification de six aéroports internationaux. Excusez du peu. Mais avec autant de dossiers empilés sur mon bureau et de chantiers à mener à bon port, toute mon équipe, mon énergie et mes forces sont mobilisées pour la réalisation des projets présidentiels. Je n’ai pas d’agenda politique personnel, si ce n’est l’agenda du Sénégal et la feuille de route du Patron.»

                    Admiré par les uns, décrié par les autres

Son pedigree, son côté esprit libre et son ascension fulgurante dans les hautes sphères du pouvoir lui vaudront beaucoup d’admiration mais aussi de solides inimitiés. Surtout dans les rangs de l’Apr où ses détracteurs le jugent trop indépendant. Electron libre et arrogant, rajoutent même certains. Ce que rejette son proche entourage, qui assure au contraire que «Doudou est l’apologie même de la générosité et de la simplicité». Ses anciens collègues du Fongip confirment et le décrivent comme «un vrai talibé à l’humilité déconcertante, parfois même déroutante».
En général peu disert sur sa vie privée, il n’en revendique pas moins son appartenance originelle à la grande famille maraboutique de Siwaul et de Hodar dans le département de Malem Hodar, ainsi qu’à la famille maraboutique de Agnam Siwol de Matam. Dans sa lignée comme dans sa condition de talibé mouride, «la modestie n’est pas un slogan mais un principe», assène-t-il. Ceux qui le côtoient au quotidien ne démentent pas. L‘homme a beau être au cœur du pouvoir, il n’est jamais sorti de sa condition humaine. Juste obsédé par l’action. Capable de vous envoyer un message à 4 heures du matin et de vous croiser en réunion à 8 heures. Un statut WhatsApp «au travail» à lui tout seul.

                    Des moquettes bureaucratiques aux sentiers politiques

Si la politique l’a toujours passablement titillé, c’est en grande partie grâce au «patron» que le Directeur général de l’Aibd est descendu dans l’arène. S’il est très vite rattrapé par le virus de la politique, c’est surtout sa volonté irrépressible de se mettre au service du chef de l’Etat qui sera le moteur de son engagement.
Mackyste indéfectible, fantassin discipliné, le technocrate tombe la veste, fend l’armure et devient progressivement un des principaux visages de la majorité présidentielle à l’échelle locale et nationale. Passé de l’ombre à la lumière, la tentation électorale le démange. Son Gps politique lui indique le Sud, direction sa Casamance natale, mais surtout son terroir de cœur. Car bien plus qu’un simple endroit qui l’a vu naître, cette terre est la variable affective qui détermine tout ou presque chez cet enfant de Cabrousse et de Boucotte. Cette terre dans laquelle plongent ses racines, cette terre qu’il a dans la chair, devenue cette part non négociable qui fonde les ressorts de tout engagement public. Doudou Kâ veut faire profiter la Casamance de ses réseaux, son influence et son énergie pour faire avancer la région. En faire un pôle régional attractif dans un Sénégal aux fortes ambitions économiques. Mais de là à briguer la mairie ? Mis à part ceux qui étaient dans la confidence, peu de gens ont vu poindre ses ambitions ziguinchoroises.

                    Le duel des quadras

Nous sommes au mois d’octobre 2021. Le nom de Doudou Kâ est alors sur toutes les lèvres après des incidents qui ont opposé ses partisans aux militants de Pastef. L’affaire fait très grand bruit à quelques semaines de l’ouverture de la campagne des Municipales. Doudou Kâ ne lâche plus Ousmane Sonko, qui le lui rend bien. Le premier est au deuxième ce que ce dernier est à la majorité présidentielle : son tourment. Devenu personnage politique incontournable en Casamance, Doudou Kâ se pose en alter ego de Ousmane Sonko dans une région politiquement sismique pour le Président. Et ça tombe bien, car Macky Sall et la Casamance constituent les deux limites infranchissables de son histoire personnelle et politique.
Résultat, entre l’ingénieur des ponts et chaussées et l’inspecteur des impôts, le combat pour le contrôle de la mairie de Ziguinchor s’annonce féroce. Si intense qu’il faut une nouvelle échelle pour mesurer le fossé entre les deux. Doudou Kâ, Ousmane Sonko : deux quadras, deux visions, deux trajectoires, deux profils, deux ambitions mais un seul objectif, la prise de contrôle de la mairie de Ziguinchor. Et de mémoire de Ziguinchorois et d’observateurs politiques, jamais une élection locale n’aura été aussi scrutée, commentée et redoutée, tant par l’opposition que par le pouvoir.
Mais coup de tonnerre, quelques semaines avant le début de la campagne. Le patron des aéroports du Sénégal est obligé de faire atterrir ses ambitions sur décision du chef de sa coalition politique. Une désillusion qu’il accepte sans broncher.

                    La volte-face éclair

Bien que n’ayant pas été investi, Doudou Kâ s’active en coulisses pour peser de tout son poids sur l’issue finale du scrutin. Car selon certains sondages, l’ampleur de l’abîme entre Benoît Sambou et Ousmane Sonko à la veille du scrutin, est telle qu’il faut «un ultime sursaut pour barrer la route à Ousmane Sonko». Doudou Kâ se lance dans un véritable coup de poker politique, pour éviter que les clés de la Ville de Ziguinchor ne se retrouvent entre les mains de son principal adversaire. Dans une longue lettre aux Ziguinchorois, il appelle les électeurs à voter Abdoulaye Baldé pour barrer la route au «candidat de l’opposition radicale au nom de l’intérêt supérieur des Ziguinchorois».
Seulement voilà, son offensive électorale éclair n’aura pas les effets escomptés. «Son candidat» est largement battu, ne récoltant «que» 30% contre 56% pour Ousmane Sonko. Doudou Kâ ne tarde pas à adresser ses félicitations au vainqueur, non sans souhaiter bonne chance aux populations de Ziguinchor. Un geste hautement républicain salué par tous les Ziguinchorois et qui augure une opposition apaisée entre deux fils de la Casamance, entre deux frères du «Bukut» de Bessire.
De perdant avec une claque retentissante administrée aux candidats de son camp, Doudou Kâ se remet rapidement en mode conquérant. «Les histoires et les destins politiques s’écrivent aussi dans les défaites» soutient-il. Le voilà fin prêt pour rebrancher la majorité présidentielle.

                    L’atout Doudou Kâ

La cuisante défaite de Benoît Sambou, qui a remporté la palme du plus faible taux de voix de Bby au niveau national avec 12%, en plus de l’impasse dans laquelle se trouve Abdoulaye Baldé après la perte de la mairie, installent une nouvelle conjoncture politique en Casamance. C’est un boulevard bitumé, éclairé et dégagé qui s’ouvre pour celui qui a aujourd’hui, toutes les cartes en main pour incarner le visage de la mouvance présidentielle dans le Sud du pays. Mais son succès ou son échec dépendra pour grande partie, de sa capacité à incarner les idéaux politiques républicains. Au delà de tout militantisme clanique et fanatique.
En prenant le leadership politique de la majorité présidentielle dans le Sud du pays, Doudou Kâ pourrait être un précieux atout pour Macky Sall.
A l’instar des Lions du Sénégal dont le récent sacre est avant tout la victoire de tout un Peuple, Doudou Kâ en appelle au rassemblement des Sénégalais « pour vaincre nos déchirements ». Et pour certains qui n’auraient pas saisi que cette supplique s’adresse aussi à lui, il poursuit : «Le Sénégal est notre patrimoine commun et nul n’a le monopole de l’amour du pays. Que l’on soit du pouvoir, de l’opposition, de la Société civile ou que l’on soit apolitique, nous souhaitons tous un Sénégal de progrès, de prospérité, de paix et de Justice. Au-delà de toute autre considération, nous partageons une histoire, une culture et des valeurs sur lesquelles nous devons nous adosser solidement pour construire ensemble notre devenir». Une belle ode à ce qui nous rassemble et nous fait partager un même destin : le Sénégal.

Source : lequotidien.sn

 

Laisser un commentaire

Retour en haut
Retour haut de page